L‘inquiétante dévitalisation des bourgs – La France vit un deuxième exode rural

LE MONDE | 05.08.2016
La vacance des commerces et des logements s’accélère dans les centres des communes rurales. Un casse-tête pour les maires
Qui n’a jamais traversé ces bourgs aux rues charmantes mais désertes, où se succèdent volets clos et boutiques vides ? La presque totalité des 15 000 communes rurales ou isolées de France sont rongées par la dévitalisation de leur centre, qui va en s’accélérant.
Les seuls signes de vie se manifestent dans le centre commercial bâti à la hâte autour d’un supermarché, avec ses immanquables parkings et sa station essence. Parfois, une pharmacie, une boulangerie voire un bistrot complètent l’ensemble, laid mais pratique !

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Logements vacants dans la grande rue de Sierck-les-Bains (Moselle )
La dernière publication de France Stratégie, organe de réflexion auprès du premier ministre, parue en juillet, a de quoi affoler les maires. Le rapport souligne la métropolisation de l’économie française et appelle tout simplement, pour plus d’efficacité et « dans un contexte de rareté budgétaire, à concentrer les investissements sur les métropoles mais aussi à soutenir les territoires qui risquent de décrocher définitivement, tout en investissant moins dans les territoires intermédiaires ».
« La France vit un deuxième exode rural », affirme Emmanuel Ducasse, expert des marchés immobiliers pour le Crédit foncier. « Les transactions se concentrent dans à peine 3 000 communes. Ailleurs, c’est le calme plat et des maisons peuvent rester trois ou quatre ans sans trouver preneur », observe-t-il.
Trois phénomènes mortifères se combinent. La fermeture d’industries et de services publics entiers, amplifiée par la révision générale des politiques publiques décidée sous la présidence de Nicolas Sarkozy qui a entraîné la fermeture de tribunaux, bureaux de poste et administrations, assèchent les emplois et précipitent le départ des actifs.
La vacance des logements (voir carte des logements vacants) s’emballe : son taux moyen est passé de 6,4 % à 8,1 % entre 2005 et 2015, et même à 8,8 % dans ces 15 000 communes avec des pics à 15 %. « Cela représente près de 100 000 nouveaux logements vides par an, plus du quart de la production neuve. Une partie de ce parc est hors d’usage, difficile d’accès, sans stationnement ni rénovation possible à coût raisonnable, les multiples normes et réglementations accélérant cette obsolescence », explique l’urbaniste Olivier Piron, ex-secrétaire permanent du plan urbanisme construction et architecture (PUCA) du ministère du logement.
Nouvelles constructions
Plus visible et désespérante encore est la fuite des commerces. « La vacance commerciale explose, elle progresse de 1 % par an depuis 2012, avec 9,5 % de locaux vides [chiffre 2015], mais peut aller de 15 % à 25 % dans des villes petites ou moyennes ou bourgades comme Annonay, Aubenas, Cholet, Forbach, Marmande, Moulins, Nevers, Pamiers, Saint-Omer, Vichy, Vierzon, Villeneuve-sur-Lot. Certains maires paniquent », s’inquiète Pascal Madry, directeur de l’Institut pour la ville et le commerce. « Il y a surproduction de surfaces commerciales de tous types, qui croissent à un rythme plus rapide que la consommation elle-même. Entre 2007 et 2012, le nombre de mètres carrés de commerces augmentait de 60 %, la consommation de 36 % seulement, constate M. Madry. Outre la concurrence entre enseignes pour gagner des parts de marché, il y a une compétition entre territoires, aggravée par une certaine indiscipline des élus. »
Promoteurs et maires ont en effet leur part de responsabilité que ne vient plus réguler l’action de l’Etat. Dans l’espoir d’attirer une nouvelle population, beaucoup d’élus veulent édifier des logements et accusent les règles et normes de les en empêcher. Une proposition de loi du sénateur de l’Ardèche (LR), Jacques Genest, et soixante-douze de ses collègues, intitulée « Construction en milieu rural », adoptée en première lecture, au Sénat, le 1er juin, demande à assouplir les procédures de construction. « D’ici à 2019, il y aura, en Aveyron, 630 enfants scolarisés en primaire de moins qu’aujourd’hui, soit 20 postes supprimés et autant d’actifs qui partiront, plaidait lors de l’examen du texte Jean-Claude Luche, sénateur de l’Aveyron (UDI). Voilà pourquoi nous devons nous lancer dans la reconquête démographique. Aujourd’hui, cela passe par la construction, la réhabilitation des centres bourgs ne suffit pas. »
Le risque est qu’en construisant de nouveaux logements, on vide les anciens, comme l’a vécu la ville de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) où, entre 2002 et 2008, a été autorisée l’édification de 1 148 logements, au détriment du centre ancien, vidé, paupérisé, qui compte désormais 1 000 logements vides et n’a pas gagné un habitant.
Benoist Apparu, député (LR) de la Marne et maire de Châlons-en-Champagne, mais aussi ministre délégué chargé du logement de 2009 à 2012, déclarait, lors du Sommet de la construction organisé par la Fédération française du bâtiment, le 19 mai : « J’ai interdit aux deux bailleurs sociaux présents dans ma commune de créer plus de 15 nouveaux logements par an et leur ai suggéré d’acquérir des immeubles anciens du centre-ville, en déshérence, pour les rénover. » La revitalisation des centres passerait, alors, par le blocage des projets, logements ou commerces, en périphérie.
Isabelle Rey-Lefebvre Journaliste au Monde
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