Le Monde | 22.08.2016 |
Ces cahiers d’écoliers-là, on hésite à les jeter. Ils ont appartenu à nos parents, grands-parents voire arrière-grands-parents. Ils sont couverts d’une belle écriture qui ne dépasse pas les interstices entre les lignes, en pleins et déliés pour les plus anciens.
Beaucoup de nos ancêtres n’avaient qu’un grand objectif dans leur scolarité : obtenir leur certificat d’études primaires (CEP), instauré il y a cent cinquante ans, le 20 août 1866, et supprimé en 1989, l’un des deux diplômes restés emblématiques dans l’histoire de l’éducation, avec le baccalauréat.
Pour certains historiens, tel Patrick Cabanel, le « certif » « a défini une véritable citoyenneté », en partie grâce aux instituteurs, « hussards noirs de la République ». Pour ses contempteurs, s’il a permis d’homogénéiser l’instruction au niveau national, il a trop longtemps encouragé un vaste « bachotage », sans explications ni analyses.
Tout le monde n’était pas autorisé à le passer, tant s’en faut. Ce sont l’institutrice ou la directrice de l’école communale qui décidaient d’y présenter les élèves qui avaient le plus de chances de le réussir. Il fallait ensuite beaucoup mémoriser pendant un an ou deux, avant de se rendre au petit matin au chef-lieu du canton, un jour de mai ou de juin. Les épreuves s’enchaînaient (voir encadré), dont la sacro-sainte dictée éliminatoire et les problèmes de calcul (les robinets qui fuient et les trains qui se croisent sont restés dans l’imaginaire).
Les candidats attendaient les résultats, annoncés par l’inspecteur d’académie, parfois jusqu’au soir. Pour les lauréats, l’heure était à la consécration : assez vite, le certificat, parfois caricaturé comme « le bacho des gueux » (la minorité des plus riches allait au collège et au lycée, longtemps payants), est devenu précieux pour accéder aux premiers échelons de la fonction publique ou pour entrer dans les chemins de fer.
« Créer une émulation »
L’introduction de ce nouveau diplôme a été progressive. Ministre de l’instruction publique de 1863 à 1869, Victor Duruy se contenta, le 20 août 1866, d’une circulaire, dans laquelle il « recommande » aux recteurs d’inviter les inspecteurs d’académie à organiser le certificat dans les écoles de leur département. Il souhaitait, sans trop bousculer les traditions, remplacer divers concours cantonaux dotés de prix, ainsi qu’un certificat de fin d’études imaginé en 1834 sans grand effet, attestant simplement du niveau, bon ou mauvais, de l’élève.
Préoccupé par le nombre d’analphabètes, Victor Duruy obtint que toute commune de plus de cinq cents habitants crée une école de filles, mais il ne réussit pas à convaincre Napoléon III d’imposer le CEP et de rendre l’instruction primaire obligatoire. Ce que fit, sous la IIIe République, l’un de ses successeurs, Jules Ferry, par la loi du 28 mars 1882. « Ceux qui, à partir de 11 ans, auront obtenu le certificat d’études primaires seront dispensés du temps de scolarité obligatoire [de 6 ans à 13 ans, puis jusqu’à 14 ans en 1936 et 16 ans en 1959] qui leur restait à passer », précisait la loi.
« L’objectif de Jules Ferry était de créer une émulation pour que tous les écoliers passent le certificat d’études avec le même type d’épreuves. Il voulait surtout récompenser l’assiduité à l’école », commente l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Garçons et filles étaient souvent réquisitionnés pour aider leurs parents dans les travaux domestiques ou agricoles, quitte à rater l’école.
La fréquentation scolaire s’améliora – grandement à partir de la création des allocations familiales, en 1932 –, mais la volonté de Jules Ferry de démocratiser le certificat d’études résista à une forme de sélection. « On peut estimer à seulement 25 % la proportion d’une classe d’âge qui obtient le certificat de fin d’études dans les années 1880, au tiers dans les premières années de l’entre-deux-guerres et à presque la moitié juste avant la seconde guerre mondiale. La proportion de lauréats du certificat de fin d’études primaires ne dépassera jamais 55 % d’une classe d’âge : c’est la proportion actuelle de lauréats d’un baccalauréat général ou technologique », remarque M. Lelièvre.
Le CEP, « une forme d’élitisme »
Le taux de reçus parmi les présentés, lui, est très élevé dès le départ : de l’ordre de 66 % au début des années 1880, de 80 % une dizaine d’années plus tard et de près de 90 % à partir du XXe siècle. « Un faisceau de facteurs tire le CEP vers une forme d’élitisme » au niveau du primaire, constate l’historien Philippe Savoie. Parmi ces facteurs, l’aura des anciens concours locaux, et la résistance des instituteurs : le taux de réussite au certificat était une preuve de leurs propres compétences, bien qu’aucune promotion ne soit liée à ce résultat.
Les inspecteurs d’académie tentèrent longtemps de lutter contre cette tendance. De même, les ministres successifs échouèrent à obtenir que la dictée ne soit plus éliminatoire pour « cinq fautes majeures », qui valaient un « zéro ».
En mai 1948, les « maîtres » sont de nouveau tancés dans une circulaire ministérielle : « Un certain nombre d’instituteurs se refusent, malgré les instructions qui leur ont été données, à présenter à l’examen d’admission dans les classes de 6e des lycées ou collège les élèves qui manifestent le désir de continuer leurs études. Il importe de rappeler énergiquement aux instituteurs que le certificat est l’examen qui consacre la fin de la scolarité obligatoire et que seuls les élèves qui ne désirent pas continuer leurs études au-delà de 14 ans doivent être engagés dans cette voie. »
Les réformes du début de la Ve République conduiront peu à peu tous les élèves du primaire vers le secondaire. En 1971, le CEP est réservé aux adultes (souvent pendant le service militaire des garçons). En 1989, il est aboli. Mais, depuis 2002, la maison-école du Grand-Meaulnes, à Epineuil-le-Fleuriel, dans le Cher, organise tout ou partie des épreuves d’un certificat, avec plume, encre et buvard, pour les plus nostalgiques, à l’issue de longues heures de pratique de la dictée et du calcul…
Le « certif » sous la IVe République
Les épreuves du certificat d’études ont légèrement été amendées au fil des ans. Sous la IVe République (1946-1958), elles se déclinaient ainsi :
-
une dictée d’une dizaine de lignes – contre 25 lignes en 1880 – (10 points mais un zéro éliminatoire si « cinq fautes majeures » étaient relevées), suivie de trois questions relatives à « l’intelligence du texte » et à la grammaire (10 points)
-
le calcul avec deux « problèmes de la vie pratique » (12 points, 50 minutes) et cinq questions de calcul mental (5 points)
-
une rédaction (10 points) servant d’épreuve d’écriture (5 points) pendant 50 minutes
-
deux questions de sciences (10 points, 20 minutes)
-
une question d’histoire et une de géographie (5 points chacune, 20 minutes)
-
une « lecture expressive » d’une dizaine de lignes (5 points)
-
un dessin ou un travail manuel pour les garçons et dessin ou couture pour les filles (10 points, 40 minutes)
-
chant (la Marseillaise était bienvenue), récitation ou exécution instrumentale d’un morceau simple (5 points).