Lettres aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout

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Editions Les Echappés – Paru le : 25/08/2016- Broché – 136 p. – 13,90 €
« Pour la première fois, mesdames, messieurs, vous allez voter Front national. C’est un bond pour vous, un petit pas dans notre vie démocratique, et vice versa. Vous préférez peut-être dire « Je vais voter pour Marine », tant le storytelling autour de cette dernière a été frénétique ces dernières années. […] Vous voilà centre du monde, c’est-à-dire infantilisés, décomplexés, mythifiés. »
Alors que l’extrême droite gagne du terrain en France, Nicolas Lebourg s’adresse à une dizaine de personnages fictifs dont le parcours et les idées les amènent à se tourner vers le vote FN. Du professeur d’histoire-géographie d’Albi à l’étudiant gay nouvellement arrivé à Paris, en passant par l’ouvrier agricole de Senlis, tous sont confrontés à la globalisation, économique et culturelle, à la perte de légitimité des grands partis de droite et de gauche.
Écouter ces voix-là, entendre les déceptions politiques, le sentiment de déclin et de déclassement social, et comprendre comment le FN a su s’adresser à eux, ouvre l’espace de dialogue indispensable à la vie démocratique.
En adressant à chacun de ces électeurs une lettre dédiée, Nicolas Lebourg nous éclaire sur la stratégie de communication sophistiquée dont use le FN pour gagner une grande part de l’électorat.
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Adresses aux nouveaux électeurs du FN –Dominique Albertini 24 août 2016 –
Plus le Front national progresse dans les urnes, plus il est délicat de s’en tenir aux vieilles certitudes sur le profil de ses électeurs. Pas plus réductible à la bourgeoisie réactionnaire (son premier public) qu’à sa base ouvrière, le parti d’extrême droite progresse désormais dans toutes les catégories. C’est cette diversité que reflète le dernier livre de l’historien Nicolas Lebourg : Lettres aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout. Auteurs de plusieurs ouvrages universitaires, ce spécialiste des droites radicales se place ici à la portée du grand public, avec cette compilation de (fausses) missives adressées à dix électeurs, tous décidés à voter FN pour la première fois de leur vie.
130709-plage-front-national-lasserpeLe premier mérite de l’ouvrage est d’écarter d’emblée toute posture moralisante. Ces lettres n’ont rien d’une série de prêches, où l’auteur critiquerait le choix de ses personnages. Chacune se présente en fait comme un miroir tendu à son destinataire, un aperçu des raisons qui l’ont détaché de son ancienne famille politique pour le mener au bulletin «Bleu Marine». Ce bulletin qui peut, à première vue, sembler le seul point commun entre la caissière de Perpignan, le gendarme de Nantes, le médecin d’Aix-en-Provence ou encore l’étudiant gay monté à Paris. Ces personnages, l’auteur les dépeint avec empathie, mais sans se priver de les confronter à leurs éventuelles contradictions ni de pointer certaines impasses du discours frontiste. Et notamment la prétention de rassembler le peuple tout entier sur un créneau «ni de droite, ni de gauche». Illusion, tranche l’auteur, soulignant que sur un axe droite-gauche à dix crans, 43% des électeurs frontistes se placent spontanément sur les deux cases les plus à droite.
Plus que le parti lepéniste et ses électeurs, ce sont les grands partis de droite et de gauche qui se voient franchement mis en cause. Leur faute, selon Lebourg : avoir renoncé à penser la société au travers des questions sociales. Pour la droite, ce recul est passé par l’abandon de la «valeur travail» au profit de l’obsession identitaire, un choix dont l’auteur juge qu’il prépare de futurs progrès frontistes. Quant à la gauche, elle aurait «oublié à quel point les formes de production conditionnent la façon de penser le monde», pour se replier sur le terrain sociétal. 
A ces renoncements répond une angoisse, celle de ces néo-électeurs FN. Au-delà des parcours personnels, l’ouvrage suggère une sorte d’expérience commune à ces dix profils : le sentiment douloureux d’un monde qui se défait, de repères familiers qui s’effacent, laissant la place à une société fluide et horizontale, atomisée et sans mémoire. Dans ces conditions, le vote FN est revendication d’un retour à l’ordre, volonté de remettre la société d’aplomb, demande de hiérarchie. La fermeture comme moyen de l’unité : au-delà des fluctuations du programme frontiste, telle est bien sa proposition fondamentale – une offre dont Nicolas Lebourg nous invite à ne pas sous-estimer l’attractivité.

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