Tout est bon dans le troufion

Charlie Hebdo – 31/08/2016 – Gérard Biard –
C’était le bon temps des quéquettes au cirage, des chambrées décorées à la mycose plantaire, des lits en portefeuille, des concours de pets enflammés, des virées collectives « aux putes », des trains de nuit repeints à la bière, des sculptures de quilles en bois et des provisions de futurs souvenirs affligeants… C’était le bon temps de la France d’avant, fière de ses pioupious à l’uniforme pas toujours à leur taille. Le bon temps du service militaire obligatoire, qui semble tant manquer à nombre ds responsables politiques, au point que son rétablissement est encore une fois vanté comme la solution à tous nos problèmes. Qu’il s’agisse d’occuper de jeunes désœuvrés, de leur inculquer des « valeurs » ou de les empêcher de devenir djihadistes, qu’il s’agisse de lutter contre le chômage, les incivilités, la délinquance ou le terrorisme, le serpent de mer de la conscription refait régulièrement surface dans le discours politico-médiatique, sous le regard éteint d’un Jacques Chirac qui avait cru bon de la supprimer il y a vingt ans. 
Il faut reconnaître que le contexte est favorable. Dans une France en état d’urgence et sous pression sécuritaire, le fantasme du citoyen-soldat est porteur. D’ailleurs, un sondage Ifop de janvier 2016 révélait que 70,5 % des Français voyaient d’un bon œil le retour éventuel du service militaire obligatoire. Quitte à partir en Syrie, autant le faire sous le drapeau républicain, se dit la sagesse populaire…

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La caserne citoyenne
imagesRien d’étonnant donc, à ce que, après tant d’autres avant lui – dont Nicolas Sarkozy en avril dernier et François Bayrou début août -, Arnaud Montebourg sonne à son tour le clairon pour appeler au rétablissement d’un service national destiné à « soulager nos forces armées« , mais aussi à « réapprendre la camaraderie« . Sur ce dernier point, les rires préenregistrés ne sont pas fournis.
Lorsqu’il existait, on disait du service militaire qu’il apprenait surtout à s’ennuyer et à perdre son temps -comme apprendre à fumer (ration de gauloises fournies) et boire des caisses de bibine. Aujourd’hui disparu, on lui prête toutes les vertus sociales : il permettrait d’inculquer à une jeunesse en perte de repères le respect de l’autorité, le sens de la discipline, l’amour de la nation, l’importance de la cohésion autour de valeur communes, la vie en société. Vecteur de brassage social, il serait le plus performant des moteurs d’intégration. C’est tout juste s’il ne permet pas de marcher sur l’eau. En fait, il est surtout un excellent moyen pour les responsables politiques de s’en remettre à une institution unique, l’armée, pour réparer leurs erreurs, leurs démissions, leurs lâchetés, leurs ratages leurs promesses non tenues. En résumé, pour faire le boulot qu’il n’ont pas su ou voulu faire en tant qu’élus ou ministres.
Charlie007La France est une démocratie laïque, pas un État militaire. Même le Général de Gaulle était un président en civil. Le rôle de l’armée n’est pas de fabriquer des citoyens ni de les éduquer, et encore moins de les rééduquer. Il est pour le moins inquiétant que de plus en plus d’hommes politiques pensent le contraire. Quelles que soient les vertus réelles ou supposées d’un service national sous les drapeaux, il ne peut constituer au mieux qu’un « complément » éventuel, mais en aucun cas se substituer à toutes les autres expressions de la puissance publique. L’armée ne peut – et ne doit – pas faire le travail de toutes les institutions, et surtout pas de celles qui ont justement pour mission de former à la citoyenneté et à la conscience collective. Lesquelles dépendent exclusivement de l’action politique, aussi bien pour la nature de ce qu’elles « transmettent » que des moyens qui leurs sont attribués pour le faire.
On peut demander à l’armée de protéger une école, une université, un centre culturel, un lieu de débat public. Pas de remplacer ce qu’il s’y dit ou devrait s’y dire. Il ne faut pas confondre « Tiens, voilà du boudin » avec « Tiens voilà du citoyen ».

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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