Sa tradition humanitaire en a fait un village à part. A Riace, en Calabre (sud de l’Italie), l’accueil des migrants est au cœur d’une politique municipale érigée par beaucoup en exemple. Une notoriété que ce bourg naguère victime du dépeuplement doit surtout à la personnalité charismatique et fantasque de son maire, Domenico Lucano. La Tribune de Genève. Le Monde 07 septembre 2016
La tribune de Genève 01/09/2016
Italie Ce village déserté à la fin des années 90 est devenu un modèle de l’accueil de migrants. Son maire fantasque n’y est pas pour rien.
Pour se rendre à Riace, il faut emprunter une route étroite qui part de la mer en direction de la montagne. Dès l’arrivée dans le village, des panneaux bleus décorés avec les étoiles de l’Union européenne annoncent la couleur: «Riace, ville de l’accueil et de l’humanité».
Domenico Lucano, maire du village calabrais Riace. Image: Reuters
Ce slogan est la devise du maire du village. Inscrit partout, il est martelé à chaque occasion par Domenico Lucano. Ce petit homme charismatique nous reçoit au centre d’accueil de la Cité Futur où il a installé ses bureaux. Ce jour-là, il tient conférence à des touristes du nord de l’Italie venus voir par eux-mêmes ce curieux village et son maire devenu une célébrité.
Depuis avril, Lucano est dans tous les médias italiens. La raison: un classement de la revue américaine Fortune qui l’a classé dans les 50 personnes les plus influentes dans le monde. Seul Italien sur une liste qui comprend le pape ou encore Angela Merkel, cet homme trapu n’en revient pas lui-même. «Au début, j’ai cru que c’était une sombre blague. Ils ne m’ont pas appelé et ne m’ont rien demandé. Mais mon téléphone a commencé à sonner en continu et j’ai compris que c’était sérieux.»
Cet ancien professeur d’école âgé de 58 ans adore raconter des histoires. Surtout celle de son village. «Tout a commencé en 1998 lorsqu’un bateau rempli de Kurdes s’est échoué sur nos côtes. Il a fallu leur trouver un endroit pour vivre avec les moyens du bord.» A cette époque-là, l’Italie ne possède pas encore de système d’asile à proprement parler. Du coup, les habitants de Riace fonctionnent avec le système D. «Avec quelques amis nous avons passé des coups de fil dans tous les sens pour trouver des maisons abandonnées et les remettre en état.» C’est ainsi que naît la tradition humanitaire de Riace, un peu par hasard en somme.
Dans les murs des rues du village, des fresques mettant en scène les origines diverses des migrants témoignent de cette ouverture. Plus de 6000 d’entre eux sont passés par le village; ils proviennent de plus de 20 nations différentes. Populaire, Lucano salue les réfugiés par leur prénom. Il nous présente Mohammed, l’un des rares survivants d’un terrible naufrage qui a coûté la vie à 800 personnes sur les côtes ioniennes l’été passé. Venu avec ses enfants et sa femme, Mohammed s’acclimate lentement à sa nouvelle situation. Sur les 500 habitants du village, plus de la moitié sont des requérants d’asile. Un peu partout dans le village, ils s’occupent à de l’artisanat.
Repeuplement salvateur
«Au début des années 2000, j’étais sur le point de partir. Nous étions en train de devenir une ville fantôme. Il y a plus d’habitants de Riace en Argentine ou aux Etats-Unis qu’en Calabre!» poursuit le maire. Profitant d’une situation qui devenait catastrophique, il a su la transformer en opportunité.
En plus de permettre à 70 personnes du village de trouver un emploi dans l’accueil des migrants, leur arrivée a permis de faire rouvrir l’école, le magasin d’alimentation et redonné vie au bar du village. «Le repeuplement de Riace nous a sauvés.»
«Durant l’Euro de football, le bar montrait les matches sur un écran géant et j’ai vu tous ces garçons nigérians qui portaient le maillot de l’Italie et soutenaient notre équipe. Cela m’a beaucoup ému», raconte-t-il.
Très vite, le sacerdoce du maire attire la curiosité. En 2011, c’est Wim Wenders qui vient réaliser un documentaire. De retour à Berlin, le cinéaste prononce un discours lors du Sommet des Prix Nobel de la paix qui placera Riace sur la carte du monde: «La véritable utopie n’est pas la chute du mur de Berlin. C’est ce qui se passe dans le village de Riace en Calabre», dit Wenders.
Drôles de billets
Domenico Lucano n’aime pas seulement raconter des histoires. Il nous montre sa dernière invention: des billets en papier à l’effigie de ses héros – Che Guevara, Charlie Chaplin ou encore Martin Luther King – destinés à servir de monnaie temporaire d’échange entre les requérants d’asile et les commerçants locaux. Grâce à cela, les nouveaux arrivants peuvent se procurer les biens de première nécessité sans avoir à attendre les subsides de 35 euros par jour que leur envoie avec parfois deux semaines de retard l’UE.
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Frédéric Baylot
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