Aux origines du blocage démocratique

Authueil – 21/09/2016 – par Samuel –
La politique française est bloquée, personne ne peut le contester, au delà même de ce qui est supportable. La critique de la qualité du personnel politique ne mène nulle part. C’est un poncif vieux comme la politique, et tous les virer n’est, pas plus maintenant qu’autrefois, la solution. De la même manière, changer les institutions et la Constitution, en croyant que faire table rase change la situation, est une impasse. Ce n’est pas le cadre qui compte, mais la manière dont il fonctionne. L’important est la circulation des élites et des gens qui sont au pouvoir. La France a un problème depuis 30 ans, avec des élites politiques qui ont échoué, mais qui s’accrochent et qu’on n’arrive pas à déloger.
Le blocage est double, à la fois technique et culturel. Nous sommes avec un système politique dont l’accès est cadenassé, et un tissu associatif structurellement incapable de faire contrepoids et de présenter une alternative, capable de fournir les cadres de remplacement.
Depuis 1990, les règles du financement de la vie politique ont complètement bloqué le renouvellement de la classe politique. Afin de lutter contre la corruption, la loi de 1990 a interdit le financement des partis par les entreprises et les personnes morales. Désormais, un parti ne peut être financé que par les dons des particuliers (7500 euros maximum par tête de pipe) et par le financement public. Ce dernier est devenu essentiel, si ce n’est indispensable. Il est basé sur le résultat des législatives, et le nombre de parlementaires. Il n’est raisonnablement possible de créer un nouveau parti politique qu’une fois tous les 5 ans. Entre les deux intervalles, celui qui fait dissidence part en laissant à ses adversaires la structure du parti, et donc l’argent, se retrouvant à fonctionner (et à préparer les législatives suivantes) avec des bouts de ficelles. Je ne sais pas si la corruption a été vraiment combattue grâce à cette mesure (j’ai quelques doutes…) mais ce qui est sûr, c’est qu’elle a verrouillé l’accès à la vie politique.
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La classe politique ne s’est pas contentée de mettre ce cadenas, elle a aussi complexifié le financement des campagnes électorales. Pour toute candidature, il faut un mandataire financier, avec des règles byzantines qui excluent de fait les « amateurs » et les débutants. C’est tellement complexe que régulièrement, même des hommes politiques chevronnés (qui ont essayé de bien faire) se font avoir. Et les sanctions sont lourdes, avec des risques élevés d’inéligibilité et de perte financière. Le changement des règles électorales a également fermé la porte aux candidatures isolées. Dès qu’un scrutin est à la proportionnelle, il faut monter une liste, ce qui veut dire avoir des relais et une capacité à mobiliser. A l’échelle d’une commune, c’est encore possible, mais pas pour une région. Aux élections départementales, il faut maintenant présenter un ticket de 4 personnes, (2 hommes et 2 femmes). Se présenter en indépendant est devenu impossible, il faut avoir une structure derrière soi. Structure que l’on ne peut créer qu’une fois tous les 5 ans, à condition d’être capable d’avoir 50 candidats faisant au moins 1% des voix. Donc d’avoir déjà une structure capable de présenter ces candidats… La porte est bien fermée, à double tour !
4f8c0d96dfd95raleeeer-4f1d8Le deuxième problème, culturel, vient de très loin, c’est notre incapacité à construire une société civile digne de ce nom. Le français râle beaucoup, mais ne retrousse pas ses manches pour régler lui même les problèmes. Il exige que l’État le fasse. C’est l’héritage très direct de l’Ancien Régime, où un monarque tout-puissant pourvoit aux besoins de son peuple. Si le pays est mal dirigé, c’est de la faute des ministres, et il suffit que le roi soit informé pour que les malheurs cessent. A cette culture de sujétion politique, s’est ajouté l’héritage révolutionnaire, qui a détruit les corps intermédiaires. Cela se ressent encore douloureux aujourd’hui, quand on regarde les pays anglo-saxons, et que l’on voit la vitalité de leur « société civile » avec des fondations, des associations très puissantes, bien dotées financièrement. Notre tissu associatif est minable à coté de cela, et quand il est un peu développé (dans le sanitaire et social par exemple), c’est parce que l’État subventionne. Les français ne donnent quasiment pas, et quand il le font, c’est pour bénéficier du crédit d’impôt. Donc au final, c’est l’État qui paye.
Dans le secteur politique, les ONG et les associations « militantes » pour des causes d’intérêt général sont cacochymes, manquant de fonds et de personnels pour développer une action, alors que politiquement, ils ont un boulevard devant eux. Imaginez ce que cela donnerait, si La Quadrature du Net ou encore Transparency International avaient chacune une centaine de salariés et plusieurs millions d’euros de budget par an et étaient en mesure de mobiliser un réseau de plusieurs dizaines de milliers de personnes dans le pays…
Si notre pays est bloqué, c’est parce que la société civile n’est pas organisée et puissante, et a laissé la classe politique prendre ses aises. Le moment est peut-être venu de se bouger, en donnant une ossature digne de ce nom au réseau des associations qui font de la politique (au sens noble du terme) et que l’on déverrouille l’accès au système démocratique. Pour cela, il faut s’investir, pas seulement râler.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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