« ONPC » : Raphaël Glucksmann a brillamment répondu à Eric Zemmour. Merci à lui

4411405277319L’Obs LePLUS  03-10-2016
Par Thierry de Cabarrus Chroniqueur politique
LE PLUS. Invité d’ »On n’est pas couché », l’essayiste Raphaël Glucksmann a opposé à la France décliniste d’Eric Zemmour une autre France : universaliste et non-identitaire, cosmopolite et non communautaire, laïque et pas seulement chrétienne. Pour Thierry de Cabarrus, cette prise de parole était subtile et salutaire.

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Raphaël Glucksmann était l’invité de « On n’est pas couché » ce samedi 1er octobre 2016. (Capture d’écran/YouTube)
Il y a chez Raphaël Glucksmann une élégance naturelle (des yeux rieurs et un sourire franc de gendre idéal), une aisance du langage au service d’une pensée et d’une culture impressionnantes à son âge, qui donnent le sentiment, quand on l’écoute et le regarde chez Laurent Ruquiez, de mieux comprendre l’époque et ses travers.
Sa parole est d’autant plus intéressante qu’elle est minoritaire, subtile, et que les occasions sont trop rares de l’entendre évoquer sa France à lui, qui est aussi la nôtre (« Notre France« ) dans le tintamarre dominant de la triste pensée zemmourienne.
VIDÉO
L’hommage à « Charlie-Hebdo » et « l’esprit français »
Qui, avant lui, a expliqué aussi clairement pourquoi il y avait autant de monde dans la rue après la tuerie de « Charlie-Hebdo » quand les attentats du Bataclan ou de Nice avaient laissé les Français tétanisés et repliés chez eux, incapables de se réunir et de s’indigner tous ensemble contre ces monstruosités ?
Ce « carnaval » était la fête des fous, quand, dans un défoulement collectif et salutaire, les enfants devenaient des rois et les curés  déambulaient nus dans les rues, quand on dansait dans les églises où officiaient des ânes.
Raphael Glucksmann nous dit encore que cette « liberté de conscience absolue », cet « esprit français » qui s’est exprimé après l’attentat contre le journal satirique est la seule identité française valable à ses yeux quand les « racines chrétiennes » de la France, tant vantées par Sarkozy et Zemmour, pour être bien réelles, ne constituent pas pour autant son ADN puisqu’elles sont partagées par « nos voisins italiens ou allemands ».
Une France qui n’est pas suicidaire
 On pourrait multiplier les exemples pour démontrer qu’en moins d’une demi-heure, et à coups de références historiques imparables à « On n’est pas couché », ce jeune intellectuel a répondu avec conviction et talent au discours décliniste et refermé sur lui-même d’Eric Zemmour.
Pour démontrer que la France est laïque, universaliste, cosmopolite et droit-de-lhommiste , il n’a pas hésité, parmi beaucoup d’autres figures de notre Histoire, à convoquer Michel de Lhospital, le premier à avoir hissé la politique au-dessus des religions.
En l’écoutant, on se disait que pour une fois, quelqu’un osait opposer aux références historiques fumeuses de l’intellectuel réac d’autres figures, d’autres faits historiques qui démontraient l’exact contraire que ce que ce dernier prétendait.
À côté de cette France réac et sectaire vantée par Zemmour, à côté de cette France soit disant suicidaire, il en existait donc une autre qu’il s’agissait de présenter aux Français pour leur expliquer que non, il n’y avait pas de raisons d’avoir peur et de ne pas avoir confiance dans cet « esprit français » qui a permis à notre pays de toujours se relever et de servir d’exemple à ses voisins.
La France, « une idée » ? Pour Hollande aussi
Plus tard, Raphaël Glucksmann a renvoyé dos à dos Nicolas Sarkozy « le menteur » et François Hollande « le gestionnaire » regrettant que ce dernier n’ait pas eu le souffle nécessaire pour opposer une voix forte aux appels au repli que la droite et l’extrême droite ne cessent de multiplier depuis le discours de Grenoble de l’été 2010.
Sur ce point, on a envie de lui opposer le récent discours de Wagram au cours duquel le président a rappelé aux Français les valeurs intangibles de la République face à la surenchère sécuritaire et xénophobe.
D’ailleurs, Glucksmann, s’il est déçu, n’est pas pour autant aussi éloigné qu’il le prétend  de François Hollande. Il suffit de l’entendre prononcer ces mots essentiels, qu’il attribue à Anacharsis Cloots, un jacobin allemand venu en France pendant la Révolution : « La France, ce n’est pas un pays, c’est une idée », voire même « un idéal », car elle a eu à un moment donné de son histoire, une parole universelle.
On est en plein malentendu, car cette phrase citée par cet intellectuel déçu dit-il, d’avoir attendu en vain un discours à la hauteur des défis migratoires que connaît notre pays, François Hollande l’a bel et bien prononcée avec passion à la Mutualité, dans son discours de Wagram de septembre dernier, en réponse à tous ceux qui, face à une pseudo menace de « grand remplacement », opposent leur vision d’une identité rétrécie et communautariste :
« La France, c’est une idée, c’est un idéal, c’est une espérance, c’est une langue, c’est une histoire, c’est une culture ! »
Où sont les intellectuels français ?
On ne s’arrêtera pas à cette incompréhension, tout comme on ne retiendra pas les propos de Yann Moix qui, sous couvert de critiquer « Notre France », semblait avoir pour seule ambition de se mettre en valeur en prétendant ferrailler avec l’intellectuel qu’il avait sous la main, au risque de transformer cette discussion passionnante en un insupportable entre soi.
En revanche, on partagera avec Raphaël Glucksmann le regret et la conviction que la France ne sait plus produire d’intellectuels susceptibles de développer une pensée et un débat au-delà de ses frontières : « Nos auteurs qui font des cartons en librairies et qui adorent kidnapper l’identité française  ne sont pas traduits. Il n’y a plus de débats sur les idées produites en France. Et c’est ça à mon avis le problème : avant on était un pays qui était une idée, maintenant on est un pays qui manque d’idées. »
Voilà d’un coup Eric Zemmour et le succès de son « Suicide français » ramenés à de justes proportions et rien que pour cela, il faut remercier Raphaël Glucksmann.
Édité par Louise Auvitu

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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