Le Canard Enchaîné – 02/11/2016 – Jean-Luc Porquet –
C’est un supermarché où tous les produits sont moins chers que dans les autres supermarchés. Où la malbouffe est interdite : tout ce qu’on y achète est goûteux – les fruits et légumes, notamment, qui proviennent de fermes familiales et de coopératives locales. Où ne règne pas en maître le marketing à gros sabots – pas de réclames tonitruantes, de prises de tête de gondole, de musique tchak-boum d’ambiance.
L’entrée de la Park Slope Food Coop. Crédits photo : Lardux films
Dans son film (1), Tom Boothe nous montre en long et en large et dans les recoins comment Park Slope Food Coop, un supermarché coopératif créé par une poignée d’utopistes en 1973 dans le quartier de Brooklyn (New York), est devenu, comme le dit l’une de ses salariées, « la plus belle expérience sociale du pays ». Le principe est d’une simplicité enfantine : chacun des membres (au début ils n’étaient que 10, aujourd’hui ils sont 17 000) verse 100 dollars, de façon à être copropriétaire de l’affaire, et s’engage à consacrer 2h45 de travail bénévole par mois. Et a le droit d’y faire ses courses. Pour coordonner le tout, 80 employés seulement.
Masse salariale réduite, pas d’actionnaires à rémunérer, pas de pédégé à enrichir grassement : voilà ce qui explique comment Park Slope peut pratiquer des tarifs très bas. Bien sûr, cette « pépite égalitaire » exige une organisation d’enfer. Pour assurer la caisse, la manutention, la réception des livraisons, le conditionnement des produits, la coupe des fromages, le nettoyage, l’informatique, la garderie d’enfants, l’accompagnement de ceux qui, leurs sacs lourds de victuailles, demandent à être escortés jusqu’à la bouche de métro la plus proche, il faut que ça tourne ! Sachant que chacun des membres choisit son propre horaire de travail, on imagine les allures de casse-tête chinois du planning…
Mais ça marche. Si un membre rate un « service », il doit en faire deux. Certains essaient de tricher, évidemment. D’autres de voler des marchandises. Il y a des énervements, des impolitesses des exclusions – un « comité de discipline » se charge de régler tout ça en douceur, selon un mode de règlement des conflits très élaboré. Il y a aussi des débats internes (en ce moment, sur les sacs plastiques), un journal bihebdomadaire, de la diplomatie, de l’intelligence collective, de l’humour…
A entendre deux des fondateurs expliquer que l’idée de ce joyeux projet leur est venu à la faveur des sixties anticapitalistes (« On ne voulait pas que le profit généré par nos achats et notre travail parte ailleurs« ), on se met à penser que, à chacun de nos achats à Carrefour, Auchan ou autre, on enrichit les actionnaires de ces groupes. Or ce sont eux qui, en ne cessant d’accroître la puissance de leur système de grande distribution, sont en grande partie responsables de la malbouffe industrielle, de l’agriculture productiviste et de l’agonie des centres-villes…
Pas manchot, le réalisateur Tom Boothe s’apprête à lancer ces jours-ci à Paris une coopérative nommée La Louve sur le modèle de Park Slope. Enfin un bon produit importé des États-Unis ?
(1) le documentaire « Food Coop » sort cette semaine en salles.
Tom Boothe, Américain installé à Paris depuis 2002, est président des Amis de La Louve, association qui projette de lancer un supermarché coopératif dans le 18e arrondissement de Paris. – F. Pouliquen / 20 Minutes