Électeur cherche président incarné

Charlie Hebdo – 09/11/2016 – Guillaume Erner –
Le président normal, plus personne n’en veut. Ça n’est pas pour autant qu’on le préfère anormal. C’est ainsi, aujourd’hui, les politiciens ont du mal à incarner la fonction. 
75720659On a trouvé le problème : c’est l’incarnation ! Si nos politiques en général ET nos présidents en particulier ne conviennent pas, c’est parce qu’ils n’incarnent plus la medium_umpfonction. Sarkozy ? Pas assez incarné, du « casse-toi, pauv’ con » au « avec Carla, c’est du sérieux« , franchement, on attendait autre chose. Autre chose ou quelqu’un d’autre. Par exemple François Hollande. Sauf que, lui aussi, c’est un vacillant de l’incarnation. ll y a eu le scooter et puis maintenant le livre. Oui, Le livre – maintenant, il suffit d’insister sur l’article -, Un président ne devrait pas dire ça…, signé Davet et Lhomme, au terme duquel on a déclaré que, non, décidément, un président ne devait pas devenir premier fournisseur de petites phrases de la République.
En somme, on a l’impression que le modèle « président de la République » appartient au passé. Comme s’il devait avoir le képi de mon général, le chapeau de Mitterrand ou à la rigueur, le velours côtelé de Pompidou. Au passage, on oublie un peu VGE et surtout Chirac, qui, rétrospectivement, passe pour une étrange incarnation. C’est tout de même curieux de déplorer les turpitudes de François Hollande en oubliant les différentes libertés prises par Jacques Chirac avec la loi. Du train de vie de la Mairie de Paris aux révélations de la cassette Méry, il faut être sacrément amnésique pour penser que ses arrangements avec la loi ne malmenaient pas l' »incarnation ».
D’autant que l’incarnation est en réalité un problème presque partout. Le sacré en politique a vécu. Même celui qui a servi de modèle – le pape – en souffre. L’actuel tenant du titre passe aujourd’hui pour un drôle de souverain pontife aux yeux des tradis. Il comprend les homosexuels, s’émeut du sort des migrants, prône le rapprochement avec l’islam. Du coup, il fait de la politique : pour ne pas perdre sa base, il peut soudainement changer de discours. La semaine dernièra, il a ainsi déclaré qu’il fallait finalement accueillir les réfugiés avec prudence, à peu près le contraire de ce qu’il toujours professé. Quant à son prédécesseur, c’est encore pire : il a démissionné. Comme si un pape relevait d’un métier et non d’une mission.
versailcour1L’incarnation pose problème, plus personne ne semble avoir la carrure requise pour endosser l’habit du prince. Mais, contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas la faute des politiques; on aura beau ressusciter De Gaulle ou Louis XIV, aucun d’entre eux ne donnera désormais satisfaction sur ce point. Parce que les politiques sont soumis à un double bind : une injonction contraire. D’une part, ils doivent incarner la personne du dirigeant, prince des lointains, au-dessus des hommes puisque destiné à les gouverner. Mais, dans le même temps, ils doivent montrer leur proximité avec leurs administrés, révéler leur part d’humanité banale. S’il est théoriquement possible d’adopter l’une ou l’autre de ces attitudes, il apparaît impossible de les conjuguer toutes les deux. Accéder au pouvoir, et l’exercer, requiert des caractéristiques distinctes, pour ne pas dire antagonistes. Être élu signifie que montrer que l’on dispose de qualités humaines telles que la sympathie, l’empathie, autant dire des qualités banales. Mais dès que l’on est élu, il faut au contraire faire preuve de qualité supra-humaines : l’isolement, l’exemplarité, l’infaillibilité.
Jadis, la question de l’incarnation se posait autrement, par l’intermédiaire de ce que le sociologue Max Weber appelait le charisme.  Mais le charisme, ce n’est pas seulement la capacité d’un individu à attirer et retenir les regards.  C’est aussi une manière transcendante de considérer le politique, et c’est cela qui précisément appartient désormais au passé. Ce n’est pas Louis XIV qui a rendu Louis XVI possible, mais l’ensemble du système dans lequel il s’insérait, et c’est aujourd’hui cette forme même de système qui appartient au passé. Voilà pourquoi, en matière d’incarnation, nos politiques sont désormais condamnés à nous décevoir.

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