Primaires

La Décroissance – Novembre 2016 – Alain Accardo –
Un voyageur étranger, de passage par chez nous ces dernières semaines et qui aurait eu les grands médias pour seule source d’information sur la vie du pays, serait certainement conduit à croire que le peuple français s’apprête à vivre un évènement majeur de son histoire, un moment crucial qui va décide de son avenir pour la suite des temps. Notre visiteur ne manquerait pas de s’imaginer, en parcourant les gazettes et surtout en écoutant radios et télés, que des millions de citoyens retiennent leur souffle et croisent les doigts en attendant le verdict de « la primaire », c’est à dire la désignation d’un(e) candidat(e) aux prochaines présidentielles, pour la droite républicaine d’abord, puis pour la gauche de gouvernement. 

primaire-de-la-droite-et-du-centre-le-recap-du-debat-en-2-minutes-20161014-0041-f65ba8-01x

« Certes, se dirait-il, il est bien normal que ce peuple, qui a jais décapité un roi incompétent, accord tant d’attention à celui ou celle qui va monter sur le trône. » Mais en y regardant de plus près et en écoutant plus attentivement, il constaterait que plutôt qu’à la mobilisation de toute une population sur un évènement décisif, ce à quoi il est train d’assister, c’est à la compétition de quelques rédactions de presse, quelques escouades de journalistes rendues un peu hystériques par leur concurrence, pour embarquer le public dans un de ces shows électoraux, une de ces grandes « premières » sans lendemain à quoi se réduit désormais le rituel des prétendues démocraties. Et donc que ce qu’il observe, c’est en fait une phase ordinaire du travail de construction de la réalité sociale que les médias institutionnels accomplissent jour après jour et sans lequel le monde serait bien différent de ce qu’on nous fait croire.
sans-titreLe peuple français, dans sa masse, est bien trop occupé et préoccupé par tous ses problèmes d’existence, de subsistance et de résistance pour s’intéresser sérieusement à une mascarade électorale qui ne sert qu’à américaniser un  peu plus sa vie politique, sous couvert de démocratisation. Si au moins ces élections à grand spectacle, dont on nous tympanise, permettaient de choisir vraiment entre des candidats(e)s incarnant des options réellement différentes, mais on s’évertue à monter en épingle des différences de style infinitésimales et épidermiques entre des personnalités quasi interchangeables sortant du même sérail et partageant la même vision du monde. Pas une seule, parmi ces personnalités « primaires », qui se proclame le champion des petits, des obscurs et des exploités, car s’il y en avait une seule, on entendrait les chenils médiatiques aboyer à pleine voix contre son « populisme », son « extrémisme », voire son « terrorisme ».
Une démocratie sans peuple
Non, cette primaire de droite comme de gauche, c’est encore une fois l’illustration de ce que la critique révolutionnaire a dénoncé depuis longtemps, à savoir que la démocratie a été très vite confisquée par les puissants et que le jeu électoral auquel nous sommes régulièrement invités à participer est essentiellement une mise scène destinée à légitimer les rapports de domination établis. Partout dans le monde occidental, depuis des générations, on s’ingénie à bâtir, à force d’inégalités de toutes sortes, des démocraties sans les peuples. La construction européenne en est un édifiant exemple. Et la France n’est pas en reste dans la remise de son destin aux mains des oligarques milliardaires, banquiers et grands investisseurs.
Cependant il importe de garder à l’esprit que ce coup d’État permanent contre la démocratie n’est possible qu’au prix d’une mise en scène, d’une représentation en trompe-l’œil dont les médias sont devenus des agents indispensables. Le système d’exploitation et d’expropriation de la masse des petits et moyens salariés ne peut continuer à fonctionner que moyennant l’entretien de cette immense et quotidienne supercherie qu’est devenue « l’information de presse » institutionnelle.C’est là qu’est la force symbolique du système, mais c’est là aussi que se trouve le défaut de la cuirasse.
La domination de l’argent sur les canaux de l’information est telle à l’heure actuelle qu’on pourrait croire la bataille définitivement perdue. Pourtant, l’audience considérable de livres et de vidéos comme Les nouveaux chiens de garde* ou Merci patron ! (entre autres, fabriqués avec des moyens militants par des journalistes d’exception, montre heureusement que la lutte pour une information indépendante et véridique est encore possible. il n’est que d’avoir le courage et l’abnégation de la mener. Mais ces vertus exceptionnelles ne peuvent s’acquérir dans les écoles de journalisme, qui ne savent inculquer que la prétention et la soumission, comme le font plus généralement toutes les filières dites d’excellence où se pressent les enfants des aristocraties bourgeoises, grandes et petites, les futures « élites » qu’elles disent.
* Les Nouveaux chiens de garde /France – 2011 – Couleur – 104 minutes

img-les-nouveaux-chiens-de-garde-big-01

Les médias se proclament « contre-pouvoir ». Pourtant, la grande majorité des journaux, des radios et des chaînes de télévision appartiennent à des groupes industriels ou financiers intimement liés au pouvoir. Au sein d’un périmètre idéologique minuscule se multiplient les informations pré mâchées, les intervenants permanents, les notoriétés indues, les affrontements factices et les renvois d’ascenseur.
En 1932, Paul Nizan publiait Les Chiens de garde pour dénoncer les philosophes et les écrivains de son époque qui, sous couvert de neutralité intellectuelle, s’imposaient en gardiens de l’ordre établi.
 Aujourd’hui, les chiens de garde, ce sont ces journalistes, éditorialistes et experts médiatiques devenus évangélistes du marché et gardiens de l’ordre social. Sur le mode sardonique, Les Nouveaux chiens de garde dressent l’état des lieux d’une presse volontiers oublieuse des valeurs de pluralisme, d’indépendance et d’objectivité qu’elle prétend incarner. Avec force et précision, le film pointe la menace croissante d’une information pervertie en marchandise.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
Cet article, publié dans Politique, est tagué , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.