L’Obs LE PLUS 21-11-2016
LE PLUS. Large vainqueur du premier tour de la primaire de la droite et du centre, l’ancien Premier ministre apparaît comme un gagnant modéré à mi-chemin. Un champion de la synthèse. Seulement, à y regarder de près, sa brutalité est peut-être plus redoutable que celle de l’ex-président, dont il a été le collaborateur zélé. Les explications d’Olivier Picard.
La joie aura été de courte durée pour les sarko-sceptiques et les sarko-allergiques.
Sur le moment, ce fut une divine surprise. Le revenant de 2012, chef autoproclamé des « Gaulois », éliminé cette fois au premier tour de cette primaire de la droite et du centre qui devait être le ring de son come-back inédit à l’Élysée ! Un scénario que ses adversaires les plus acharnés n’avaient même pas osé imaginer deux semaines à peine après la victoire de Donald Trump aux États-Unis.
Dans l’emballement médiatique collectif qui, dans un mélange de sidération et d’étonnement, a salué la formidable remontée de l’ancien premier ministre âgé de 62 ans, le story-telling de ce triomphe a projeté une image déformée du vainqueur du jour.
La victoire surprise de l’ex-Mister Nobody
Pour faire court, le gagnant fulgurant serait une espèce de produit de synthèse de toutes les droites extrêmement efficace. Tout à coup, les sondeurs et les professionnels de la profession qui n’avaient rien vu venir (à commencer par moi-même) en ont conclu comme l’inspecteur-héros de l’antique série policière des années 1960 « Les 5 dernières minutes » réalisant l’évidence de l’énigme: « Bon sang. Mais c’est… bien sûr ! »
Et voilà le morne François Fillon propulsé par les médias dans la catégorie des grands visionnaires « sérieux », « opiniâtre », « discret »… Une collection de médailles raisonnables tout à coup accrochées à son poitrail.
Cet ex–« Mister Nobody » sans casseroles juridiques tintinnabulantes serait, par contraste, reposant et « rassurant ». Un champion par défaut, moins à gauche que Juppé et moins populiste que Sarkozy. Une espèce de centriste de la droite LR boosté par l’incroyable effet « nouveauté ». On a fini par oublier que ce « ni-ni » sexagénaire a été élu député pour la première fois… il y a 35 ans à l’âge de 27 ans. L’accélération miraculeuse de ce loser qui, il y a quatre ans, avait laissé échapper une présidence de l’UMP lui tendant les bras, a tout balayé, laissant derrière elle un gaz d’échappement enivrant au parfum de « dynamique ».
Une illusion. Le nouveau favori n’est ni modéré, ni moderne.
Bien plus conservateur que Sarkozy
À y regarder de près, il apparaît presque plus inquiétant que Nicolas Sarkozy, auteur des pires énormités flattant les instincts primaires de l’électorat d’extrême-droite sur les estrades mais, au fond, pragmatique, et capable, au fil de ses humeurs, d’un réel progressisme. Le méchant Sarkozy n’était qu’un tigre de papier dont le moteur carburait à l’énergie hybride, permanent mélange deux-temps de plusieurs contradictions.
François Fillon, lui, est un vrai idéologue conservateur musclé, caché dans un costume de fils de bonne famille de la bourgeoisie rurale. Ce petit châtelain de Sablé – que (c’est drôle) certains de ses supporters présentent déjà comme « un paysan de la Sarthe » pour faire plus peuple – n’a pas hésité à abandonner ses chers électeurs qui menaçaient de le battre dans les urnes aux législatives pour aller se faire élire dans la circonscription ultra-sécurisée du 7ème arrondissement de Paris. Un « mal-élevé », avait pesté Rachida Dati, maire dudit arrondissement qui lorgnait sur le fauteuil…
Une carte d’identité qui ne laisse pas de doutes
Un jugement prémonitoire, car François Fillon sait aussi être brutal et si on lit son programme sérieux solide et rassurant, cette brutalité pas vraiment réaliste est au programme du grand changement qu’il promet à la France.
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Il prévoit la suppression de 500.000 postes de fonctionnaires. Un nombre « pas crédible » aux yeux d’Alain Juppé, qui l’a plusieurs fois mis en garde contre les promesses radicales qui ne peuvent pas être tenues, comme le passage immédiat aux 39 heures payées 37 dans l’administration.
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Il prône la dégressivité forcée des allocations-chômage. Avec cette vieille certitude qui voudrait que les chômeurs sont plus performants pour retrouver du travail si l’angoisse de perdre toute ressource pèse sur eux.
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L’environnement n’est pas une priorité à ses yeux. Vive le nucléaire, explorons sans complexe les potentialités du gaz de schiste, et bâtissons l’aéroport Notre-Dame-des-Landes.
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Il est partisan d’une approche ambiguë à l’égard des musulmans de France sur le mode : « Nous avons un problème avec l’islam ». Et ce bon chrétien prêche une politique de l’immigration extrêmement ferme et sa vision, très ethnocentrée et plutôt méfiante, de la diversité de la société aux antipodes de l’identité heureuse de son adversaire Alain Juppé.
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Il veut réécrire le récit national. C’est pire que le nos ancêtres les Gaulois pour tous de Sarkozy. Une histoire nationale dictée et imposée par l’imaginaire politique. Une démarche idéologique digne des… dictatures qui fait hurler les historiens de toutes sensibilités.
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Il est favorable au renforcement de la déchéance de la nationalité.
Il est le chouchou des opposants au mariage pour tous même si, abdiquant devant les sondages d’opinion, il n’abolira pas la loi Taubira.
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Il veut revenir sur le droit à l’adoption pour les couples homosexuels, et, dans cette logique, il est opposé à la procréation médicalement assistée pour ces mêmes couples et même au principe de la reconnaissance automatique des enfants qu’ils pourraient concevoir à l’étranger avec cette technique de fécondation.
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Il donne du « Cher Vladimir » à Poutine. Ouvertement pro-russe et pro-Bachar au nom de la realpolitik
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La plupart de ses principaux soutiens sont issus de la droite dure, à l’image de Bruno Retailleau, chef du groupe LR au Sénat, et ex-Villiériste de choc.