Nous vivons une époque formidable (ou pas)

Fredcavazza.net – 08/12/2016 –
Ces derniers mois, j’ai passé beaucoup de temps à anticiper ce qui allait se passer après. Après l’avènement des smartphones et des chatbots, après la mise sur le marché des premiers casques de réalité virtuelle et enceintes connectées, après la généralisation des intelligences artificielles… Comme nous approchons de la fin de l’année et ses traditionnelles bilans et récapitulatifs, je vous propose de faire le point sur la place des outils et supports numériques dans notre quotidien.
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« Y’a deux ans je comprenais pas grand-chose, maintenant c’est pire » (Orelsan)
Je ne sais pas pour vous, mais j’ai l’impression que nous avons franchi un cap dans notre rapport quotidien avec le web et les NTIC en général. En témoigne, cette sélection d’actualités et articles qui ont été publiés dans la semaine :
– YouTube permet maintenant de diffuser en direct des vidéos 4K à 360° (YouTube now supports 4K live-streaming for both 360-degree and standard video) ;
– Les balises de proximité, qu’Apple nous a présentées il y a 3 ans comme une authentique révolution, se confrontent à la dure réalité du quotidien des mobinautes (‘Beacons are dead,’ says CEO of a retail analytics firm) ;
– Les influenceurs d’Instagram sont des gens comme nous (Confessions of an Instagram Influencer) ;
– L’application Yelp demande à ses utilisateurs de se prendre en photo devant leur assiette pour plus d’authenticité (Yelp wants you to add a ‘Yelfie’ to your restaurant reviews) ;
– La Maison-Blanche a sorti une application de réalité augmentée à laquelle on peut jouer grâce à un billet de 1$ (The White House’s new app builds 1600 Pennsylvania Ave on a real $1 bill) ;
– Amazon ouvre une supérette sans caisses ni caissiers (Amazon launches a beta of Go, a cashier-free, app-based food shopping experience), la première d’une longue série (Amazon reportedly hopes to open a massive chain of 2,000 grocery stores) ;
– Les passagers d’Air France écoutés par les espions américains et britanniques ;
– Un voleur s’est fait piéger à distance dans la voiture qu’il avait volée (BMW remotely locked a vehicle to trap a thief inside the car he stole) ;
– Un logiciel distribué gratuitement permet de trouver le code de sécurité d’une carte bancaire en quelques secondes (A new tool can crack a credit card number in six seconds) ;
– La police scientifique néerlandaise va expérimenter la réalité augmentée sur certaines scènes de crime (Dutch police looking to fight crime with augmented reality) ;
– Les sites d’informations bidon sont plus prolifiques qu’on ne le pensait (The Huffington Post has a fake news problem)…
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Comme vous pouvez le constater, nous avons là un beau florilège d’actualité qui nous aurait fait réagir, ou à minima tiquer, il y a quelques années, mais qui passe quasi inaperçu maintenant. Comme si tout cela était normal, naturel, comme si nous étions devenus insensibles à toutes ces dérives. Car oui, vous pouvez l’interpréter comme vous voulez, mais il y a bien une dérive dans notre sur-utilisation des outils et supports numériques. À un point où j’en viens à me demander si la technologie nous facilite ou nous complique la vie au quotidien.
Certes, il y a du bon et du moins bon dans toutes ces nouvelles technologies et ces usages innovants, mais la question de savoir si le bilan est globalement positif ou négatif ne se pose pas dans la mesure où le numérique domine notre quotidien, il faut donc faire avec.
Des sentiments et comportements très ambivalents
Les consommateurs et citoyens entretiennent un rapport paradoxal avec le numérique : d’un côté ils veulent encadrer les usages, légiférer sur le droit à l’oubli et la confidentialité ; et de l’autre, ils passent leurs journées, soirées et vacances à s’afficher sur les médias sociaux et scotchent sur les services de messagerie mobile.
Trois études récentes illustrent bien l’ambivalence de leurs comportements :
– L’étude de l’Institut ViaVoice sur les Français et leur rapport au numérique (Français et réseaux sociaux : le grand désenchantement ?), où l’on apprend que pour 2/3 des sondés les médias sociaux ne contribuent pas à renforcer la démocratie et pour 61% qu’ils ne renforcent pas le lien social (un sacré paradoxe !) ;
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L’étude Deloitte sur Les Français et la santé, qui nous montre que 78% des Français sont favorables au développement de dispositifs de suivi et de consultation à distance pour la médecine préventive, mais plus de 40% ne font pas confiance dans les nouveaux acteurs de la e-santé ;
– Le dernier rapport d’Ericsson sur les 10 hot consumer trends, selon lequel 20% des sondés seraient favorables à l’idée de remplacer un dirigeant politique, un patron ou un manager par une intelligence artificielle, mais ont peur des potentielles destructions d’emplois.
w_funny-satirical-evolution-charles-darwin-day-251-700Je ne sais pas pour vous, mais je trouve ces chiffres particulièrement alarmants, et surtout symptomatiques d’une société qui subit la technologie. Le fond du problème est que le rythme d’innovation a largement dépassé la capacité d’assimilation du grand public. Du coup, on se retrouve avec des terminaux et supports numériques très largement déployés, mais pas du tout maitrisés (ex : la prolifération des fakes news qui ont visiblement influencées l’élection présidentielle US). Peut-être est-il temps de ralentir le rythme de mise sur le marché de nouvelles technologies et/ou de nouveaux services numériques ? Loin de moi l’idée de vouloir jouer les censeurs, mais force est de constater que rajouter plus d’innovations ne va faire qu’empirer les choses. La question me semble de plus en plus légitime, surtout que les éditeurs ne s’encombrent pas de ces considérations et poussent pour une adoption à marche forcée de la réalité virtuelle, de la réalité augmentée, des intelligences artificielles, de la blockchain…

Comprendre et maitriser la technologie, c’est réussir sa transformation digitale
Encore une fois, le but de cet article n’est pas d’endosser le rôle d’une quelconque forme d’autorité qui jugerait du bienfondé de la mise sur le marché de telle ou telle innovation (une sorte de CSA des NTIC), mais de nous questionner sur cette fuite en avant technologique. Cela fait vingt ans que je travaille dans le milieu du web, et je n’avais jamais ressenti une telle effervescence dans l’innovation.
Nous reprenons ici une réflexion que j’avais initiée il y a quelques mois à propos des dernières pratiques de programmatic buying : La publicité en ligne en pleine crise de croissance. Ma conclusion est la même : il nous faut reprendre le contrôle, car l’important n’est pas d’essayer de rattraper son retard, mais de comprendre après quoi on court et surtout pourquoi on court.
Conclusion : nous vivons une époque formidable, essayons de ne pas la gâcher avec des technologies et services numériques mal maitrisés qui peuvent au final abaisser notre productivité ou exposer nos données personnelles. Vous remarquerez que l’air de rien, c’est bien de transformation digitale dont je suis en train de parler : adopter de nouveaux usages, services et supports numériques, mais en ayant conscience de leurs limites et des dérives potentielles.
La transformation digitale implique nécessairement l’adoption de nouvelles technologies, mais elle se fait également sur le plan culturel (comprendre l’évolution des usages) et émotionnel (accepter les changements). Réussir une transformation digitale, c’est aider les uns et les autres à exploiter toutes ces nouveautés au quotidien, et ne laisser personne en retrait. Ceci est valable à la fois pour le plan personnel, mais surtout professionnel, car c’est bien là que la fracture numérique se creuse.
En synthèse : mettre l’effort sur l’éducation pour que l’innovation soit inclusive et non source de conflits entre les sachants (ou ceux qui pensent l’être) et les autres.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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