Impôts sur les sociétés, toujours moins

Charlie Hebdo – 07/12/2016 – Jacques Littauer – 
C’est la course à l’échalote en ce moment entre les pays développés pour savoir qui diminuera le plus son taux d’imposition sur les sociétés. Un jeu idiot qui prive les États de ressources indispensables pour faire fonctionner leurs services publics et mener de véritables stratégies de développement économique.
Sont-ils tous devenus fous ? Le Royaume-Uni, les États-Unis, la Hongrie, le Luxembourg, le Mexique, la Chine, l’Australie, Israël et même la France, tous ont récemment annoncé une baisse de leur taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés. Avec parfois de vrais plongeons : ainsi, Thérésa May, la Première ministre du Royaume-Uni a-t-elle annoncé in novembre que son pays aurait un taux d’impôt sur les sociétés parmi les plus faibles des pays développés. Il doit en effet passer de son niveau déjà bas de 20 % (contre 25 % en moyenne en Europe) à 17 % d’ici à 2020, et on murmure même qu’un taux à 15 % serait envisageable. Histoire sans doute de concurrencer l’Irlande et son taux plancher de 12,5 %, qui a su attirer les multinationales chez le « Tigre celtique » (quand celui-ci ne faisait pas disparaitre purement et simplement l’impôt, comme on l’a vu avec Apple.
Aux États-Unis, où l’imposition sur les sociétés figure parmi les plus élevées des pays riches (35 %), Donald Trump a promis une baisse massive pour ramener ce taux à 15 %, avec même un taux à 10 % pour les multinationales américaines qui accepteraient de rapatrier leurs liquidités placées à l’étranger. En effet, la législation américaine ne taxe les profits mondiaux que si ceux-ci sont rapatriés sur le territoire national, ce qui permet une joyeuse « optimisation fiscale » des grands groupes qui localisent leurs profits dans des territoires extra-américains, comme les Bermudes.
dessin-augmentation-des-patronsEn France, seuls les profits réalisés dans l’Hexagone sont soumis à l’impôt sur les sociétés, ce qui a pu expliquer qu’un groupe comme Total ait pu échapper à l’impôt en France plusieurs années de suite en dépit de profits importants réalisés à l’étranger. Mais le groupe a néanmoins versé 8 milliards d’euros d’impôts sur les sociétés en 2014 à divers pays qui pratiquent des taux élevés comme le Nigeria (85 %) ou la Norvège (78 %), le taux moyen de l’entreprise atteignant 67 %. Mais les taux « officiels » de l’impôt sur les sociétés sont à prendre avec précaution tant ils sont mités par divers avantages fiscaux. Ainsi, loin du record de 33,3 % affiché par notre beau pays et qui est censé faire fuir les investisseurs, une étude du cabinet PwC et de la Banque mondiale de 2014 établissaient un taux d’imposition effectif de seulement… 8,7 % en France. De même, le taux réel ne serait que de 23 % en Allemagne, le record étant détenu par le Luxembourg à 4,1 %. Pas besoin donc de baisser les taux, ils sont déjà très bas ! D’ailleurs, les grands groupes dépensent bien plus en versement de dividendes à leurs actionnaires.
3288365-4712740Et pourtant, c’est ce que viennent de décider le gouvernement et la majorité parlementaire socialiste. Alors que le taux de l’impôt sur les sociétés est passé de 50 % en 1985 à 33,3 %  aujourd’hui, et qu’il ne rapportera cette année plus que 30 milliards d’euros, contre 40 milliards en 2012, le gouvernement a décidé d’étendre le taux réduit de 15 % déjà en vigueur sous certaines conditions pour certaines PME à l’ensemble des petites et moyennes entreprises. Par ailleurs, le taux baissera à 28 % pour toutes les entreprises d’ici à 2020, pour une facture totale de 7 milliards d’euros : ça coûte cher les cadeaux de Noël aux entreprises !
Bien sûr, si l’Europe fonctionnait, tout ça n’arriverait pas, les pays coopéreraient plutôt que de se faire concurrence… Mais malheureusement, l’Europe aggrave la concurrence au lieu de la limiter. Car tout ça pour quoi, finalement ? Attirer des multinationales. Mais ces grands groupes, c’est pour nos infrastructures, notre main-d’œuvre qualifiée, nos chercheurs qu’ils viennent, pas pour nos impôts à la sauce irlandaise ou luxembourgeoise. Il est donc idiot de renoncer à des  rentrées fiscales qui nous permettent de développer nos avantages comparatifs nationaux. et à force de baisser les impôts sur les entreprises, on n’aura bientôt plus que deux possibilités : soit matraquer les ménages en augmentant la TVA (coucou Fillon), soit dépecer les services publics (re-coucou Fillon). Voire faire les deux en même temps.
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