L’industrie du doute… et sa com’

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L’âge de faire – décembre/2016 – l’Édito de Nicolas Bérard –
Les sels nitrités, injectés dans les jambons pour leur donner la couleur rose, ne présentent aucun danger pour la santé ; les rejets de boues rouges en Méditerranée n’ont aucun impact sur l’environnement; le réchauffement climatique n’a aucun lien avec l’activité humaine. Ne vous énervez pas, nous n’avons pas brutalement retourné notre veste. Nous ne croyons évidemment à aucun de ces affirmations. Et pourtant : vous trouverez facilement des « études scientifiques » qui vous démontreront que toutes ces allégations décrivent bel et bien la pure vérité. 
« Ce travail de désinformation se pratique à plusieurs niveaux. Et le premier niveau, c’est celui du langage » explique l’expert en storyelling(1), Christian Salmon, dans le documentaire Zone Rouge(2). Ainsi, plutôt que de parler de « boues », les experts en communication au service de l’industriel ont préféré imposer le terme de « résidus ». Et plutôt que de dire qu’elles n’étaient « pas toxiques » (ce qui laisse toujours supposer l’inverse), ils ont opté pour un terme parfaitement neutre : « inerte ». Avouons-le : rejeter des « résidus inertes » au fond de l’eau, c’est beaucoup moins inquiétant que de balancer des « boues toxiques » dans la Méditerranée. 
Deuxième niveau : celui de la lutte scientifique. Il y a heureusement des experts pour alerter sur les dangers de telle ou telle pratique, de tel ou tel produit.Le magazine Cash investigation, diffusé sur France 2, était par exemple allé à la rencontre de Susan Preston-Martin, une chercheuse en épidémiologie qui avait montré un lien entre une consommation excessive de hot-dogs et le développement de certains cancers. A peine ses conclusions étaient-elles publiées qu’une armée de « confrères », se mettait en branle pour pointer de supposées approximations et de prétendues erreurs de la scientifique.
« C’est un grand classique« , explique dans Cash, le professeur Stanton Glantz, qui a étudié les méthodes développées par l’industrie du tabac. Les professeurs Séralini (qui a démontré un lien entre la consommation d’OGM et l’apparition de certains cancers) et Belpomme  (qui a dénoncé l’utilisation du très nocif pesticide chlordécone aux Antilles et travaille sur les ondes électromagnétiques) peuvent vous en parler. Et nous manquons ici de place pour citer tous les chercheurs ayant fait l’objet de telles cabales.
Après avoir décrédibilisé l’adversaire, l’industriel s’emploie généralement à produire sa propre documentation pour donner un (semblant) de crédit scientifique aux thèses qui lui conviennent. Le professeur Stanton Glantz poursuit : « Comme les questions abordées sont assez techniques, [lorsque] vous êtes un politique ou un journaliste, à moins d’être très pointu, tout ce que vous entendez, c’est : « tel scientifique a dit ça, tel autre a dit le contraire ». « Tant qu’il y a de controverse, il y a doute, et le doute bénéficie toujours à l’accusé« , poursuit dans Zone Rouge Frédéric Ogé, chercheur au CNRS. En faisant valoir qu’il n’y a pas de consensus scientifique, l’industriel repousse les décisions politiques. Une méthode qui est d’autant plus efficace que les responsables politiques ne demandent souvent qu’à se faire bercer d’illusions par les grandes firmes. Il n’y a pas si longtemps, fumer était bon pour la santé, l’amiante ne présentait aucun danger et que le Médiator était un médicament homologué par l

 

(1) storyelling – L’expression désigne une méthode utilisée en communication fondée sur une structure narrative du discours qui s’apparente à celle des contes, des récits.
(2) Synopsis du documentaire Zone Rouge : L’usine d’alumine de Gardanne fait couler beaucoup d’encre depuis 50 ans. Elle divise aujourd’hui encore le gouvernement, dresse les écologistes contre ses employés ou les pêcheurs aux exploitants des mines. Les industriels qui ont successivement dirigé cette usine se sont ingéniés à inventer des astuces pour faire croire à l’innocuité des boues, pourtant toxiques, qui sont rejetées dans la Méditerranée.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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