Syrie – les leçons de la chute d’Alep : Alep, les leçons d’une tragédie

Analyse. La conquête des quartiers rebelles de la ville par les troupes de Bachar Al-Assad ébranle le système des Nations unies, paralysé comme aux pires moments de la guerre froide par les vetos russe et chinois.
Le Monde | 23.12.2016
Tournant majeur dans le conflit syrien, Alep est aussi le révélateur d’un basculement de l’ordre international. Jamais, depuis la chute du mur de Berlin, les Occidentaux ne se sont montrés aussi impuissants face à une Russie déterminée, avec l’aide de l’Iran, à tout mettre en œuvre pour permettre à son protégé, Bachar Al-Assad, de reconquérir ce bastion d’une révolution syrienne aux abois.

le-monde10c_2016-12-23-b0a1058-10825-8ysy3a-sue48wipb9_aef0743640bd99e417f8c28949bd96f0

Débâcle morale et politique de l’administration Obama, cette tragédie ébranle le système des Nations unies (ONU), paralysé comme aux pires moments de la guerre froide par les veto russes et chinois. « Alep risque d’être le tombeau de l’ONU », avait mis en garde François Delattre, l’ambassadeur français auprès des Nations unies.
Certes, à l’initiative de Paris, une résolution humanitaire a minima pour l’évacuation des civils a finalement été votée à l’unanimité le 19 décembre.
Un Occident hésitant et divisé
Mais la logique des blocs s’est remise en place, même s’ils n’ont plus, comme avant 1989, de contenu idéologique. La Russie et, plus subtilement, la Chine se montrent toujours plus déterminées à s’imposer, y compris par la force, face à un Occident hésitant et divisé. La conquête russe de la Crimée au printemps 2014, unique annexion par la force d’un territoire en Europe depuis 1945, en avait été le premier signe.
« C’est la fin du monde de l’après-1989, celui d’une gouvernance occidentale qui se prononçait sur tout et se posait en modèle », explique Bertrand Badie, professeur à Sciences Po Paris, soulignant que « le messianisme est si fortement ancré dans l’imaginaire occidental que chacun est désemparé quand il se trouve impuissant face aux souffrances d’une population assiégée ».
copyright-jpgpetit L’accès à la totalité de l’article est protégé 
Le « droit d’ingérence humanitaire », tel qu’il fut théorisé par le juriste Mario Bettati et Bernard Kouchner puis entériné par l’Assemblée générale de l’ONU en 1988, prônait le principe d’un libre accès aux victimes de catastrophes naturelles, de répression ou de guerres civiles. C’était une remise en cause du principe de souveraineté des Etats, même si, pour ses promoteurs, le recours éventuel à la force devait se dérouler dans un cadre légal.
Dans l’euphorie de la fin du communisme, Moscou jouait le jeu. Après la première guerre du Golfe, le Conseil de sécurité de l’ONU instaura ainsi, en 1991, dans le nord de l’Irak, une zone autonome pour les Kurdes garantie par l’aviation de l’Alliance Atlantique (OTAN), afin de les protéger de la vengeance de Saddam Hussein.
Le précédent fit école pour le meilleur comme pour le pire dans un monde dominé par « l’hyper-puissance américaine », selon l’expression de l’ancien ministre français des affaires étrangères, Hubert Védrine. Mises en sourdine après le fiasco somalien de 1993, ces guerres au nom de l’humanitaire ont repris sous la pression des opinions publiques occidentales, indignées par le bain de sang dans l’ex-Yougoslavie, y compris sans mandat de l’ONU, comme pour le Kosovo en 1999.
Des échecs répétés
La « guerre contre le terrorisme », lancée par George W. Bush après les attentats du 11-Septembre, balaya le régime des talibans en Afghanistan mais la crédibilité de ces interventions fut ensuite sérieusement mise à mal par la guerre d’Irak de 2003, totalement illégale au regard du droit international.
Les troupes engagées en Afghanistan ou en Irak pour faire du nation building se sont enlisées dans des guerres sans fin. Si l’intervention en Libye en 2011 se limitait à des frappes aériennes pour renverser le régime, elle créait le chaos. Ces échecs répétés expliquent la prudence occidentale, même si le cas de la Syrie a montré les conséquences encore plus dévastatrices d’une politique de non-intervention.
Alep restera comme une tache sur la fin de la présidence de Barack Obama, comme le génocide rwandais de 1994 sur celle de Bill Clinton. « La situation en Syrie me hante en permanence », reconnaissait M. Obama en septembre, dans son dernier discours devant l’Assemblée générale de l’ONU.
Il n’en a pas moins jusqu’au bout persévéré dans son refus de se réinvestir au Proche et au Moyen-Orient au-delà des opérations contre l’organisation Etat islamique (EI). C’est la première fois que les Etats-Unis restent de par leur propre volonté en dehors d’une crise majeure dans la région.
Poutine, maître du jeu
Ce retrait relatif, dont le moment culminant fut le refus de M. Obama de lancer des frappes aériennes contre le régime syrien pour le punir d’avoir utilisé du sarin contre sa propre population, une « ligne rouge » qu’il avait lui même fixée, a sérieusement affaibli, et pour longtemps, la crédibilité américaine.
L’intervention militaire lancée par Vladimir Poutine en septembre 2015 pour sauver le régime de Bachar Al-Assad lui a permis de s’affirmer comme le seul vrai maître du jeu sur le terrain.
L’armée russe n’avait jamais mené jusqu’ici une opération d’envergure hors de l’espace ex-soviétique, même si les moyens engagés restent limités. « Poutine a jusqu’ici profité de la faiblesse de l’Occident, mais il se retrouve maintenant en situation de responsabilité en Syrie et donc d’extrême vulnérabilité », note M. Badie.
Moscou tente d’imposer sa solution diplomatique en commun avec l’allié-rival iranien et la Turquie. Jusqu’ici principal soutien de la rébellion, ce pilier du flanc sud-est de l’OTAN, déçu par les atermoiements occidentaux, a obtenu du Kremlin le soutien espéré pour créer une petite zone de sécurité dans le nord de la Syrie.
Les ministres des affaires étrangères de ces trois pays directement engagés sur le terrain se sont rencontrés dans la capitale russe le 20 décembre et ils devraient se revoir au Kazakhstan. La sortie de crise syrienne se discutait jusqu’à présent à New York et à Genève ; elle se négocie désormais à Moscou et à Astana.
trump-hairDonald Trump, qui affiche sa sympathie pour M. Poutine et sa volonté de limiter les engagements extérieurs américains, risque d’amplifier cette nouvelle donne.
Marc Semo Journaliste au Monde

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Débats Idées Points de vue, Défense, International, Politique, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.