Méfions-nous du nouveau en politique

Charlie Hebdo – 11/01/2017 – Guillaume Erner –
Puisque la démocratie passe pour fatiguée, usée et vieillie, pourquoi ne pas chercher de l’inédit ? Sauf qu’il n’y a pas d’idée aussi vielle et gâteuse que celle de la nouveauté.
indexTous les candidats qui s’élancent sont d’abord évalués sur ce critère : sont-ils nouveaux ? Disent-ils quelque chose de nouveau ? C’est ainsi que l’on peut être « nouveau nouveau » comme Emmanuel Macron, « ancien nouveau » comme Manuel Valls ou « nouveau ancien » comme François Fillon. Car la « démode » va vite : à l’issue de la primaire de la droite, Fillon qui aurait pu bien connaître Brejnev, passait pour parfaitement nouveau. Mas ça, maintenant, c’est ancien : ça date de trois semaines. Aujourd’hui, Fillon semble passablement passé et repassé : les commentateurs aimeraient qu’il se renouvelle.
Autant vous faire un aveu : la politique peut lasser, les commentaires de la politique, jamais. C’est bien simple, pour moi, les journalistes politiques sont des héros. Imaginez un peu : déjà, aller à la mine chaque jour, ça n’est pas rigolo, mais là, en plus, il s’agit de commenter ce qui distingue l’aile hamoniste du PS de sa variante pellonoïde. Et pourtant, bons petits chevaux de la démocratie, ils se lèvent, participent à moult talk-shows, font des décryptages, des coulisses, des indiscrets. Où trouvent-ils cette énergie ? Si les chercheurs en avaient autant, je suis sûr que le cancer serait vaincu et le cintre de teinturier éradiqué. Chaque semaine, mes confrères de la rubrique politique trouvent des aspérités dans une matière aussi lise qu’une poêle Tefal. C’est ce commentaire politique qu’il faut commenter, parce que c’est lui qui, insidieusement guide nos politiques.

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ob_7a9d50_jeunisme-rDu coup, la nouvellerie est en passe de devenir une obsession. Pourquoi le nouveau est-il beau comme l’antique ? Parce que l’ancien nous a déçu. D’où cet appel à l’inventivité et, comme la demande crée sa propre offre, chaque candidat ente sa chance. Manuel Vallls a ainsi parlé d’un droit d’inventivité, comprenant que cette fois-ci il serait jugé à cette aune. Ses propositions sont forcément nouvelles puisqu’il propose de défaire ce qu’il a fait, et notamment, bien sûr, de supprimer le 49.3 qui a été, des mois durant, sa formule magique.Mais attention, il n’est pas le seul : Emmanuel Macron propose d’indexer le temps de travail sur l’âge du travailleur. Une proposition indéniablement nouvelle et qui pourrait bien le rester, puisqu’elle a autant de chances de voir le jour que Raël en a de devenir ministre du culte de Daech. Et puis, bien sûr, la nouveauté peut se loger également dans la forme, la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon, par exemple, et pourquoi pas demain le Front national sur Snapchat ou François Bayrou sur Youporn, si Laurent Wauquiez accepte de lui céder sa place.
Beau comme l’Antique
pdn-6x125g-coco-volume-nvo-bdA ce stade du commentaire, je vous suggère de fermer les yeux et de tenter de répondre à une question simple : pourquoi la nouveauté serait-elle une vertu en politique ? L’originalité en cuisine ou en amour, on voit bien, mais en démocratie, à quoi bon ? La politique n’est pas seulement envahie par le marketing politique, elle est piétinée par le marketing tout court. « Nouveau », c’est une qualité pour un yaourt au rayon des produits frais. Sur le plan républicain, en revanche, les idées n’ont pas de date limite de consommation. La justice sociale n’est pas valable jusqu’au 29 janvier, date du second tour de la primaire de la gauche. En insistant sur le besoin de nouveauté, on va une nouvelle fois guider les candidats vers une impasse.  Car quelles ont été les récentes inventions en politique ? Le ministère de l’Identité nationale qui, heureusement, en est presque resté à l’état de slogan. La taxe à 75 % qui, malheureusement, est restée un slogan. Cette quête favorise donc les gadgets bien vite remisés au placard politicien, équivalent programmatique de la machine à faire du pain. 
nouveauteLa démocratie est une idée bien ancienne, elle n’a pas besoin du frisson d la nouveauté, mais du sérieux et de rationalité. Lorsqu’on croise un prophète du nouveau, mieux vaut changer de trottoir. Vous savez qui était le dernier ? Saint-Just, qui s’exclamait : « Le bonheur est une idée neuve en Europe. » Çà, c’était le nouveau, après, le bonheur devint une nouvelle idée et ce fut la Terreur.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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