Economie – En France, l’artisanat reprend la main : les métiers d’art

En dix ans, la création d’entreprise dans la fabrication artisanale a explosé, tirée, notamment, par les reconversions de diplômés de l’enseignement supérieur en quête d’autonomie et de sens.

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Le Monde | 16.01.2017
Ils sont couteliers, ferronniers, céramistes, bijoutiers, selliers, verriers, experts de la feuille d’or ou spécia­listes de la marqueterie.

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On les croyait quasi disparus. Et voilà qu’on redécouvre ces artisans, posant dans les magazines devant leur établi, exposant dans des lieux branchés ou des Salons prestigieux tels que Maison & Objet, qui ouvre ses portes vendredi 20 janvier à Paris-Villepinte. Et, surtout, au coin de la rue.

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Un apprenti bottier au stand des métiers du cuir, lors du Salon européen de l’éducation, en  décembre 2016. SIMON LAMBERT/HAYTHAM-REA
En l’espace de dix ans, la création d’entreprise a explosé dans la fabrication artisanale en France. L’Insee recensait 16 000 nouvelles immatriculations en 2015, après un pic à 20 000 en 2014, contre 8 100 en 2005. « En France, l’artisan était devenu invisible, cela commence à changer », relève Lauriane ­Duriez, directrice adjointe des Ateliers de Paris, une structure qui aide des créateurs à réinvestir la capitale.
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Pauline Krier est de ceux-là. Dans le quartier historique du meuble parisien, rue du Faubourg-Saint-Antoine, cette jeune femme de 24 ans, ramponneau en main, garnit de fibres de lin des sièges poétiques, tel ce fauteuil-harpe dont les accoudoirs en corde permettront de jouer de la musique lors d’un dîner de famille. Un BTS « matériaux souples » en poche, elle n’a « tenu que six mois derrière un ordinateur », avant de retourner dans ses Vosges natales se former à la tapisserie.
De la grande ville au plus petit village, des lieux se sont reconvertis en ateliers, comme cette ancienne école à Champ­deniers, une bourgade de 1 600 habitants des Deux-Sèvres, qui accueille à présent une bottière. C’est là que Clémence Nerbusson, 29 ans, fabrique des souliers qu’elle coupe dans de grandes peaux colorées. Elle a réalisé, après une licence de médiation culturelle, qu’elle avait « besoin d’exercer un travail manuel ».
L’autoentreprise plébiscitée
D’autres métiers de l’artisanat comme la ­pâtisserie, réenchantée par les stars du macaron ou de l’éclair au chocolat et remise au goût du jour par les compétitions télévisées, ont retrouvé du glamour. Même la plomberie attire, comme l’illustrent Aude Michaud et Mona Lalanne, auparavant commerciale dans le textile et psychologue. Désormais associées, elles ont, à 34 ans, trouvé « une nouvelle vocation » en enfilant une salopette bleue et des chaussures de sécurité : « On choisit nos horaires, nos clients, et nos journées sont hyperriches ! »
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Mais c’est bien dans les métiers de la fabrication, enterrés par de nombreux économistes dans la foulée du déclin industriel, que l’engouement étonne. Pourquoi s’enticher ainsi de poterie ou se piquer de mosaïque ? Avec ses démarches simplifiées et ses cotisations réduites, le statut d’autoentrepreneur a, depuis 2008, provoqué un gros appel d’air dans ces métiers, en déclin depuis les années 1980. « On ne s’y attendait pas », reconnaît Catherine Elie, directrice des études et du développement économique de l’Institut supérieur des métiers (ISM).
En 2015, 45 % des nouvelles immatriculations relevaient de ce statut. Un niveau supérieur à celui enregistré dans les services, le BTP ou l’alimentation. Un peu plus d’un tiers de ces autoentrepreneurs de l’artisanat sont diplômés de l’enseignement supérieur. Et ce sont surtout des femmes qui choisissent cette formule pour se lancer dans un métier passion, précise Catherine Elie. ­
Camille Cramers a ainsi pu démarrer « en quarante-huit heures et à moindres frais » son activité de sellier-harnacheur dans son garage, à Poigny-la-Forêt, dans les Yvelines. Cette ancienne étudiante en lettres modernes a pu réaliser son rêve : vivre auprès des chevaux, au milieu des licols et autres ­bridons de cuir qu’elle fabrique ou répare.
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Le réveil des installations a commencé ­timidement en 2003, avec la loi Dutreil pour l’initiative économique. Historiquement, l’artisanat a toujours fait figure de refuge pour des transfuges du salariat ayant connu déception, chômage ou burn-out. C’est le cas en particulier dans les métiers les plus créatifs. Des travaux d’Anne Jourdain, maître de conférences en sociologie à l’université ­Paris-Dauphine, montrent ainsi que le CV des deux tiers des artisans d’art (qui exercent sous divers statuts) portent la trace de professions intermédiaires, postes de cadre ou métiers intellectuels.
Professionnels et « hobbyistes »
Mais il faut remonter à la vague des néo­ruraux des années 1970 pour retrouver un tel désir d’artisanat. Nulle nostalgie passéiste, pourtant, derrière ce phénomène que Michel Lallement, sociologue et professeur au CNAM, observe et voit monter depuis dix ans. « On constate un désir d’autonomie dans son travail et dans sa propre vie qui irrigue la société », analyse l’auteur de L’Age du faire (Seuil, 2015). L’artisanat, qui combine indépendance et maîtrise des projets de A à Z, collerait parfaitement à ces aspirations, selon lui. « Ne dépendre que de soi-même est presque un engagement politique pour moi », confirme Pauline Krier, qui trouve dans la création de sièges « une façon d’avoir prise sur un monde anxiogène où l’on a le sentiment de ne rien contrôler ».
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Cette envie de reprendre la main est tout aussi manifeste, selon Michel Lallement, dans les centaines de fab labs, « maker spaces » et autres tiers lieux de fabrication. Fraiseuses numériques et machines à découpe laser y côtoient les ordinateurs. La greffe a si bien pris que l’Hexagone est devenu le deuxième pays en nombre d’espaces réservés aux « makers », derrière les Etats-Unis, souligne Bertier Luyt, qui a importé le Salon Maker Faire en France.
D’autres façons d’innover et de produire s’y inventent. Un tour aux Arts codés, à Pantin, suffit pour s’en convaincre. Sous le même toit cohabitent le Centre européen de recherches et de formation aux arts verriers, un souffleur de verre (Stéphane Pelletier), des designers (In-Flexions), une micro-usine (Nouvelle Fabrique) et des ingénieurs en éclairage et optique (Magnalucis) ou en techniques d’impression 3D (Polyrepro). « On collabore, on expérimente, on s’augmente les uns les autres », expliquent Vincent Guimas, de la Nouvelle Fabrique, et la designer Sonia Laugier. Et dans tous ces lieux, les amateurs viennent se frotter aux pros.

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Nouvel artisanat Frontière pas toujours claire
Mais bricoler, bidouiller ou « faire de l’artisanat » n’est pas « être artisan », précisent les artisans traditionnels. Ces derniers raillent « la bourgeoise désœuvrée du 16e qui s’adonne à la peinture sur porcelaine », raconte Anne Jourdain. Il est vrai que la frontière entre pros et « hobbyistes » n’est pas toujours claire. En particulier sur les sites de vente d’articles faits main, de l’américain Etsy au dernier venu, Amazon Handmade.
Des vitrines qui profitent à tous, sans distinction. Informaticien, Olivier Gourdin propose ainsi sur A Little Market et sur eBay des objets en bois made in Dieppe qu’il fabrique le week-end. Sa marque Oliver Wood lui fournit déjà un petit complément de revenu, et il espère pouvoir troquer un jour la souris pour le tour à bois. Comme lui, à côté de 70 % de vendeurs pros sur A Little Market, « ils sont 30 % à tester les réactions à leur production avant de faire de leur passe-temps une activité à part entière », indique le cofondateur de ce site français Nicolas Cohen.

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A l’évidence, ce nouvel artisanat qui ne se laisse pas enfermer dans les définitions a relancé une dynamique entrepreneuriale. Il apporte sang neuf et compétences complémentaires, en matière de langues ou de management par exemple, soulignent les sociologues. Mais que penser de son impact sur la revitalisation de la fabrication, qui a perdu 10 % de ses effectifs entre 2009 et 2014 ? L’objectif du néoartisan reste-t-il avant tout, comme l’avancent les mauvais esprits, son développement personnel ? La question reste ouverte, huit ans après la création du régime de l’autoentrepreneur.
« Vendre du rêve »
L’économiste Catherine Elie juge que « l’on ne dispose pas du recul nécessaire pour savoir si ces indépendants vont développer leur activité et changer de statut ». C’est ce qu’envisage la sellière ­Camille Cramers, à présent qu’elle gagne régulièrement un peu plus d’un smic mensuel. Mais, en moyenne, le chiffre d’affaires mensuel des microentrepreneurs de la fabrication plafonne à un peu moins de 1 000 euros par mois, selon l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).
« En tant qu’artisan, on vend du rêve mais les choses sont souvent moins roses que ce qu’on peut imaginer », confirme Clémence Nerbusson. Quand, comme elle, on fabrique une douzaine de paires de souliers par mois, il est « difficile d’expliquer le prix de son travail à des gens habitués aux prix industriels ». Même si Nicolas Cohen dit voir affluer sur A Little Market « des milliers de consommateurs qui veulent redonner du sens à leur consommation et sont à la recherche d’une expérience différente de Zara et d’Ikea ».

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Ceux qui ont réussi à passer de l’artisanat à l’art et ne font plus du tissage, mais de « l’élaboration d’un espace textile » ou de « l’architecture de fibres végétales » s’en sortiront toujours mieux, prédisait Pierre Rossell, ­enseignant à l’Ecole polytechnique de Lausanne dans un essai intitulé Demain l’artisanat ? (Cahiers de l’IUED, PUF, 1986). Mais, dans les métiers d’art comme ailleurs, « il y a souvent un conjoint pour assurer l’équilibre financier du ménage », souligne Anne Jourdain.
Un tiers des microentreprises de la fabrication n’auraient d’ailleurs pas d’activité économique, dit-on à l’Acoss. « Quand on se retrouve seul avec sa scie et son morceau de bois, si l’on ne fait rien, il ne se passe rien, ­contrairement à la grande organisation où le bateau avance tout seul », plaisante Walter Bellini, un ancien cadre supérieur d’Arcelor, ­devenu ébéniste à 50 ans passés. Si, pour lui, « l’artisanat est une école d’humilité », certains renoncent. Et le repli de 20 % des immatriculations en 2015 pourrait annoncer une autorégulation.
De nouvelles formations
Cette mue des métiers pousse en tout cas « à repenser la pédagogie et le contenu des formations », relève Bruno Monpère, directeur de la chambre de métiers et de l’artisanat du Tarn-et-Garonne. D’où l’arrivée de licences professionnelles (L3), comme celle d’artisan designer pour laquelle il a œuvré, et dont la première promotion sortira diplômée en septembre : il faut être titulaire d’un CAP et d’un bac + 2 en arts appliqués pour postuler. Une façon d’en finir avec l’opposition entre les enseignements théoriques et pratiques. Et, surtout, avec l’antagonisme entre le cerveau et la main.
Une croisade dont deux Américains ont pris la tête à la fin des années 2000 : le socio-historien ­Richard Sennett, auteur de Ce que sait la main. La ­culture de l’artisanat (Albin Michel, 2010), et Matthew B. Crawford, un ancien universitaire qui raconte, dans son Eloge du carburateur (La Découverte, 2016), comment mettre les mains dans le cambouis lui a permis de donner du sens au travail.
Confortée par son Prix jeunes talents lors de la dernière biennale du Carrousel des métiers d’art et de création à Paris, Pauline Krier a, elle aussi, « trouvé sa place dans la ­société », même si elle va prendre un job de gardienne d’immeuble en attendant que l’on s’arrache ses sièges. Reste à ces nouveaux artisans à trouver leur place dans le paysage économique.
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Nadine Bayle

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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