La géopolitique foireuse de la terreur

Une des explications à cent sous donnée aux attentats par certains qui sont complaisants envers l’islamisme est : si l’armée française (ou américaine, ou britannique) restait chez elle, il n’y aurait pas d’attentats. Le terrorisme serait de la légitime défense, en somme. Mais dans ce cas, pourquoi frappe-t-il en dehors des zones de guerre ? Et pourquoi certains peuples qui ont lourdement payé tribut aux frappes étrangères refusent-ils de recourir à la terreur pour se venger ?
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Si le terrorisme que nous subissons actuellement n’était qu’une réplique à une ingérence étrangère, s’il ne possédait aucun fondement idéologique et religieux, on pourrait en déduire la règle selon laquelle tout peuple bombardé par l’Otan sécréterait des commandos de semeurs de mort. Or la Serbie n’a pas réagi de la sorte, par exemple. Encore plus frappant : des peuples victimes de génocide ne se sont pas vengés de leurs massacreurs. Les Tutsis du Rwanda auraient pu en vouloir aux forces de l’ONU, à la France et à la Belgique de ne pas avoir su ou voulu empêcher ce qui s’est passé. Est-ce pour autant qu’ils ont commis des actions de représailles en Europe, même ciblées ? Non. Dans l’histoire du peuple arménien, l’action de l’Asala contre la Turquie a été un épisode sanglant, mais assez rapidement clos. Les Bosniaques ont leurs criminels de guerre, mais ne sont pas allés poser des bombes à Belgrade. C’est donc qu’il n’existe aucun lien automatique entre statut de victime et réplique terroriste.
Une idéologie d’exclusion
Autre hypothèse de Diafoirus : ton armée m’attaque chez moi, je riposte contre ton pays. C’est le propre de la guerre. Et les interventions militaires étrangères en Libye, en Irak et en Syrie, en Afghanistan et au Mali sont bien des actes de guerre. Or s’il est dans la logique de la guerre que, sur les théâtres d’opérations ou à proximité, des actes de terreur visent les troupes qui interviennent et parfois les civils qui les aident, toutes les guerres ne s’exportent pas. Le FLN algérien, comme l’OAS d’ailleurs, a frappé des civils, en Algérie comme en métropole. Mais d’autres ont choisi une voie différente : la guerre d’Indochine a vu le FLN vietnamien battre l’armée française sans que des cellules du Viêt-minh frappent en France, ni plus tard aux États-Unis, d’ailleurs.
La spécificité du terrorisme islamiste est qu’il ne circonscrit pas l’aire géographique dans laquelle il se déploie : il exporte sa réaction partout dans le monde. Pourquoi ? Parce que le prisme au travers duquel il lit les interventions étrangères non pas contre un pays d’islam (l’intervention française au Mali n’est nullement destinée à renverser son gouvernement ni à démembrer le pays), mais dans un pays d’islam, est celui d’un affrontement mondial. Dans cette optique, une action de l’armée française à Gao peut être « vengée » par un attentat commis n’importe où, contre n’importe quel « ennemi », par un commando, ou un individu, qui peut n’être ni français ni malien. La nébuleuse islamiste est, on le sait depuis al-Qaida, engagée dans un « djihad mondial » qui abolit les frontières de la nationalité des combattants et des victimes. Elle est dans une logique imparable : puisque son action se réclame d’un soutien à la oumma agressée par une « croisade » et que la oumma comme les « croisés » sont disséminés à travers le monde, c’est celui-ci tout entier qui est le champ de bataille. Quiconque n’admet pas que le but ultime de l’islam radical est l’extension de son pouvoir – sinon par la conquête, du moins par la conversion – ne peut comprendre la nature du phénomène islamiste djihadiste qui, s’il est amplifié par l’intervention en Afghanistan puis en Irak, leur préexiste.
0512-egypte-aLa lecture des attentats à travers le prisme déformant des luttes anticoloniales et de l’opposition dominé/dominant a brouillé la vue de certains. Le Bangladesh, le Pakistan, l’Inde, les Philippines ont ainsi vu éclore un terrorisme islamiste que ne pouvaient justifier ni une colonisation ni une agression, qui mêlait l’inscription dans un schéma global et des facteurs proprement nationaux, dont l’exemple bangladais est très frappant puisque le pays ne connaît aucun mouvement séparatiste, aucun conflit avec un voisin. Les islamistes locaux massacrent au nom d’une idéologie d’exclusion de ceux qui ne se conforment pas à leurs normes, bien qu’ils soient aussi musulmans que leurs tueurs.
C’est bien l’idée de la purification nécessaire qui justifie le djihad, qui est un mode d’attaque, pas de défense. Le djihadiste veut purger. Purger le monde des juifs et des chrétiens, des incroyants, des « déviants » de toutes sortes, y compris musulmans. Il arrive nécessairement un moment où, face à ces forces-là, l’action militaire devient légitime et n’est qu’une riposte normale au projet totalitaire qui est la vraie, la seule cause des attentats.

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