Charlie Hebdo – 18/01/2017 – Fabrice Nicolino –
Davos 2017, c’est parti, avec visite du président chinois Xi Jinping, et de quantité d’autres crapules de la planète. Dans les bagages des multinationales, deux monstres : Grow Asia et Grow Africa. Il s’agit d’ouvrir de nouveaux marchés aux pesticides, aux semences brevetées et à l’esclavage.
Entre le 17 et le 20 janvier, c’est Davos, capitale mondiale de l’industrie. Le Forum économique mondial réunit chaque année 1 000 patrons de transnationales et plus, pour lesquels l’homme et les bêtes s’appellent lhomme.com et lesbetes.com. En 2009, le Forum économique de Davos lance en fanfare la New Vision for Agriculture. Comme le plan Marshall en 1947. Comme la prétendue « révolution verte » d’après 1960, ce plan mondial avance masqué. Comment nourrir 8,5 milliards d’humains en 2030 ? Eh bien , assurent les compères, en misant sur le « développement durable » bien sûr, la « sécurité alimentaire » et toutes les novelles « opportunités économiques. Chaque décennie qui nous sépare de 2050 – nous sommes, rappelons-le en 2009 – verra les rendements agricoles augmenter de 20 % et les émissions de CO2 réduites de 20 %. Comme si c’était fait.
Mais que s’est-il passé réellement depuis huit ans ? Une formidable supercherie a vu le jour sur deux continent, l’Afrique et l’Asie. Ce n’est pas indifférent, car le premier a échappé pour l’essentiel – jusqu’aux OGM du moins – aux offensives de l’agrobusiness mondial. Et le second, sur fond de libération totale de l’économie, au Myanmar (ancienne Birmanie), en Indonésie, aux Philippines, au Cambodge, au Vietnam -, est enfin prêt à la nage dans le grand bassin aux crocodiles.
Deux entités ont été créées pour l’occasion Grow Africa et Grow Asia. Sur le papier, elles sont là « pour aider les petits paysans à augmenter leur production et leurs moyens d’existence par un meilleur accès à l’information, aux connaissances, aux marchés, au financement« . C’est assurément philanthropique, mais comment dire ? Presque trop. Parmi les vrais tenants de ce « partenariat » entre des Etats et des entreprises, on trouve sans surprise excessive Bayer, Cargill Du Pont, Monsanto, Pepsi, Nestlé, Syngenta.
Que veulent-ils vraiment ? Une des ONG les plus intéressantes de ce temps, Grain, vient de se pencher sur le sujet et son rapport fait dresser les cheveux sur la tête de ceux qui en ont encore. Grain évoque, par exemple l’un des plus vastes projets de Grow Asia au Vietnam*. Monsanto et Syngenta sont censés « aider » le ministère de l’Agriculture à convertir en cinq ans 668 000 hectares de rizières traditionnelles en bonne terre à maïs hybride, dont les récoltes seront exportées pour nourrir le bétail des riches du Nord ou de Chine. Où ? Dans le nord-ouest du Vietnam, où vivent depuis des millénaires des peuples autochtones qui n’ont jamais eu droit au chapitre.
Bien entendu, le maïs ne saurait pousser tout seul, et les commerciaux de Monsanto et Syngenta font signer des contrats à des paysans qui souvent – comme chez les Xinh Mun – sont illettrés. Dommage pour eux. Le deal implique évidemment l’achat et l’usage d’engrais de synthèse et de pesticides. Le reste est bien connu et se retrouve à chaque chapitre de l’histoire des esclavages : le prix des semences Monsanto ou Syngenta, imposé, est délirant. « Les paysans, écrit Grain, ne se rendent pas compte qu’ils auront à rembourser deux fois le prix des semences au moment de la récolte, en raison du taux d’intérêts élevés » […] En conséquence, près de 100 % des paysans sont maintenant endettés et 30 à 40 % des ménages ont perdu des terres pour rembourser ce qu’ils doivent [aux transnationales]. »
La même chose, à bien peu près, se passe en Indonésie où Monsanto et cette fois Cargill « offrent » des prêts aux petits paysans dans le cadre d’un pompeux « Programme national de sécurité alimentaire » cosigné par le gouvernement et la banque Rakyat. En échange, les fermiers doivent acheter des semences de maïs Monsanto et vendre leur saine récolte à Cargill, qui se charge de transformer cela en alimentation animale.
Dans les deux cas, au Vietnam comme en Indonésie, les paysans arrêtent la production vivrière et travaillent pour l’exportation. Ce que les criminels aux manettes appellent le « développement durable ». Les mêmes qui rient dans la neige de Davos au JT de 20 heures.
* Cultiver le désastre : le programme Grow permet aux multinationales de développer leur mainmise sur l’agriculture (ONG Grain 19/01/2017)