Quand l’oligarchie fait la loi

Nexus magazine – Janvier/Février 2017 –
l_lth_drapeaux_contreplongeeQuel dénominateur commun entre les différentes lois votées ces dernières années ? Qu’il s’agisse de la loi d’avenir pour l’agriculture, la loi Macron pour la croissance, de la loi biodiversité, ou de la loi El-Khomri sur le travail ? L’utilisation de biais autocratiques, au détriment de la démocratie représentative et de l’intérêt général, pour imposer des mesures favorables aux lobbies. Plus récemment, par la grâce des attentats, la fabrique de la loi est également devenue l’occasion « au nom de l’intérêt supérieur de la nation », de renforcer le contrôle des populations et de restreindre les libertés individuelles. La gouvernance par la peur permet d’interférer avec la sphère privée en toute impunité. Les arguments deviennent superflus. Les mesures sont prises soit en force, soit en toute discrétion. La Constitution est modifiée au gré des besoins (1).
Contourner le parlement
Comme pour la gouvernance européenne, avec la généralisation de la pratique des trilogues (2), le jeu démocratique est court-circuité. Les procédures exceptionnelles ou accélérées deviennent la norme. Les décisions sont prises en commission plus qu’en session plénière. Quand l’adoption d’un texte ne convient pas au gouvernement, le vote peut être annulé. Et si, malgré tout, un désaccord persiste entre l’exécutif et le législatif, le sujet est tranché à coup de 49.3 (3). Qui croit encore à la séparation des pouvoirs ? Des cavaliers législatifs se glissent désormais dans tous les projets de loi. Introduits discrètement par un amendement de dernière minute, ils échappent aux prérequis démocratiques, tels que la diffusion de l’information, les études d’impact ou la concertation avec les représentants de la société civile. S’il y a débat, tous les coups sont permis et les sources citées ne sont pas accessibles.
Déni de démocratie
08-02-08-marianne-assemblee-nationaleL’article 14bis de la loi égalité et citoyenneté, qui durcit le contrôle de l’instruction en famille, cumule toutes ces dérives. Glissé en dernière minute par amendement gouvernemental, il est sans rapport avec la loi dans lequel il s’insère (4). Les chiffres et rapports cités pour justifier cette mesure (qui ne répond à aucun problème réel) n’ont pas été rendus publics (5). Le gouvernement n’a pas répondu aux questions posées par les députés (6). Aucun des rapports ‘information parlementaire ni aucune des études d’impact demandées n’ont été obtenues (7). Les associations représentant les familles pratiquant l’IEF (8) n’ont pas été reçues ni entendues. Et surtout, c’est le texte du gouvernement quia été voté mot pour mot, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, alors même qu’il avait été modifié par le Sénat dans l’intérêt des enfants concernés (9). « Ce déni de démocratie est peut-être le point le plus choquant de la situation actuelle, indépendamment du débat de fond« , regrette Doriane Koscinski, membre de l’équipe juridique du LED’A. Quant à son décret d’application, il est sorti par un tour de passe-passe avant la loi (*).
Rester légaliste ?
La loi n’est plus au service de l’intérêt général. Plus les mesures sont illégitimes, plus les mesures pour les imposer le sont aussi. Illustration supplémentaire, s’il en était besoin, la tentative sans préavis de restreindre la liberté de la presse (10) – encore un cavalier législatif ! -ors du deuxième passage de cette loi devant les députés. De nouvelles dispositions qui, si elles étaient adoptées, faciliteraient la mise n cause des directeurs de publication et des journalistes par ceux qui s’estimeraient leurs victimes. Que resterait-il comme marge de manouvrière pour certaines revues alternatives ? Dans ces conditions de mainmise sur la fabrique de la loi, pourrons-nous encore longtemps nous contenter de recours légalistes face à des lois devenues illégitimes ?    
democratie-dessin(*) La nouvelle législation, en bref
– Désormais, l’administration dispose des pleins pouvoirs sur les modalités et le lieu des contrôles de l’instruction en famille. Recours possible à l’injonction de (re)scolarisation au deuxième refus de contrôle.
– C’est l’enfant qui est évalué et non plus l’instruction.
– Ce n’est plus sa progression qui est jugée, mais la conformité de ses connaissances et de ses compétences « au regard des objectifs attendus à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire »
Article 14bis du projet LHAL 1528110L modifié le 25/11/2016 et décret n°20161452 du 28/10/2016 relatif au contrôle des connaissances requis des enfants instruits dans la famille ou dans les établissements d’enseignement privés hors contrat.
(1) Pour prolonger l’état d’urgence par exemple.
(2) Des représentants des trois grandes institutions européennes se retrouvent dans des réunions opaques, après le vote du Parlement européen, pour finaliser les principales directives. Cf. « Les trilogues », l’une des boîtes noires les plus secrètes de Bruxelles (Mediapart, 15/10/2016)
(3) Article 49.3 de la Constitution française dit « d’engagement de responsabilité », qui permet au gouvernement de faire passer un texte sans vote parlementaire.
(4) Amendement ministériel N° 852, ajouté quelques jours seulement avant le vote à l’Assemblée nationale de juin 2016 du projet de loi. (5)
Rapport instruction à domicile 2014-2015, DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire)
(6) Cf. retranscription des débats sur le site de l’Assemblée nationale
(7) Cf. 19 amendements parlementaires, demandant la suppression de l’amendement gouvernemental N° 852, déposés à l’Assemblée nationale lors du vote du 29 juin 2016.
(8) Collect’IEF (Collectif pour la liberté d’instruction), Cise (Choisir D’instruire son enfant), LAIA (Libres d’apprendre et d’instruire autrement), et LED’A (Les enfants d’abord)
(9) Article 14bis voté par le Sénat le 18 octobre 2016. texte définitif adopté le 23/11/2016 conforme à l’amendement 852.
(10) Amendements modificatifs de la loi du 29 juillet 1881.

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