Oublions Fukushima

La Canard Enchaîné – 15/03/2017 – J-L. P. –
Fukushima, c’est ennuyeux comme la pluie. Il faut toujours arroser les trois réacteurs pour les empêcher de recracher des saloperies radioactives. Il faut toujours récupérer cette eau devenue radioactive. Et la stocker. Il y a déjà plus de mille cuves pleines à ras bord – en tout 1 million de mètres cubes -, ça déborde.
Fournie à prix d’or par Areva, la machine à décontaminer l’eau n’a jamais marché. L’eau s’accumule. Un des ces jours, on la reverra à la mer. Chaque jour, 6 000 ouvriers s’affairent sur place. Personne ne peut s’approcher du cœur des réacteurs. Des taux de radioactivité qui ont sidéré les spécialistes ont récemment été mesurés dans l’enceinte de confinement du réacteur 2 : plus de 600 sieverts l’heure, la mort immédiate pour qui s’en approche. Personne ne s’attendait à ce que les matériaux radioactifs pètent la santé à ce point.
En février, un petit « robot scorpion » a essayé d’y entrer pour connaître l’état du corium, 880 tonnes de magma de combustibles fondus. Il n’a pas réussi à parcourir plus de deux mètres et a tenu moins de deux heures.  Les autorités disent pouvoir commencer à récupérer ce corium à partir de 2021. Elles estiment qu’en quarante ans, elles devraient pouvoir en venir à bout. On en reparlera dans quarante ans. Pour stopper les eaux souterraines qui descendent des montagnes, s’infiltrent dans les réacteurs et se dirigent vers la mer, on pompe en permanence.
Un mur de glace de 30 mètres de profondeur, actuellement en construction, devrait réussir à bloquer cet écoulement continu, mais rien ne dit qu’il va être efficace. Les 80 000 habitants évacués ne sont pas près de rentrer. Les autorités veulent en faire revenir un maximum, mais il se tâtent. Dans les zones interdites pullulent les sangliers sauvages, descendus des montagnes. Ils sont devenus très radioactifs. Ces « sangliers nucléaires », les chasseurs en ont abattu des milliers. On a creusé des charniers pour les enfouir. Oublions Fukushima.

Et en France ? (Jean-Luc Porquet)
Six ans après Fukushima, comment se porte la sûreté nucléaire dans le pays le plus nucléarisé du monde ? Officiellement, tout va pour le mieux. Les 58 réacteurs, tous proches de la retraite après quarante ans d’exploitation, en moyenne, sont en train d’être retapés dans le cadre d’un « grand carénage » qui vise à renforcer les sécurités en tirant les leçons de Fukushima.
A Gravelines, par exemple, un énorme chantier est en cours, qui consiste à construire six bâtiments bunkérisés et antisismiques de 25 mètres de hauteur, où seront installés, dans des chapes de centaines de tonnes d’acier et de béton, six moteurs diesels dits d' »ultime secours, permettant de refroidir le cœur du réacteur et d’empêcher la fusion au cas où… Ce grand carénage devrait coûter 51 milliards d’après EDF, le double d’après la Cour des comptes : dans le nucléaire, on joue avec les milliards comme avec les petits pois.

Donc tout va bien ? Non. Rappelons-le, voilà trois ans, dans l’EPR de Flamanville en cours de construction (la fameuse centrale de troisième génération censée être le nec plus ultra du nucléaire), l’Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) découvre que le couvercle et le fond de la cuve du réacteur fabriqué par la forge Creusot (désormais propriété d’Areva) souffrent d’une sérieuse malfaçon : l’acier dont ils sont faits contient deux fois trop de carbone, ce qui le fragilise énormément. Or, cette cuve, c’est le cœur du réacteur, là où a lieu la réaction en chaîne…
Alarmée par cette inquiétante découverte, l’ASN décide de vérifier d’autres pièces fabriquées par la forge du Creusot dans les centrales existantes. Bingo ! Courant 2016, elle découvre dans pas moins de 18 réacteurs la présence de 46 fonds de générateur de vapeur (autre partie cruciale) qui souffrent du même défaut. Si la sûreté était vraiment prioritaire, il faudrait stopper net les réacteurs concernés. Mais la finance et l’économie commandent  : ce serait une catastrophe financière pour EDF et pour la France. Et, en plus, c’est l’hiver ! « On entre alors dans une zone grise, note le physicien Bernard Laponche. EF a continué à faire tourner les réacteurs contenant des pièces ultrasensibles dont elle sait qu’elles ne sont pas aux normes. L’ASN lui a demandé de piloter son parc plus prudemment, de ne pas monter ou baisser trop vite en température ». »
Sur sa lancée, l’ASN poursuit ses contrôles à l’usine du Creusot. Stupeur : certains certificats (pas moins de 80) ont été falsifiés. Qu’ils correspondent à des pièces défectueuses. Plus de 10 000 certificats sont en trin d’être passés au crible. Ça va prendre des années. En attendant les résultats, tout va bien, non ?

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