Les marchands de sang

Charlie Hebdo – 08/03/2017 – Jacques Littauer –

Décidément, plus rien n’échappe au marché. Même le sang, dont le don contre rémunération est interdit en France, fait désormais l’objet d’un fructueux marché à l’échelle planétaire, en dépit des risques sanitaires.
Grâce à l’Europe, le sang vendu par les Américains pauvres pourra désormais se retrouver dans nos veines… « Je suis comme une vache, je donne du lait. » « Çà m’a presque tué, alors je ne veux plus le refaire. « Tels sont les témoignages de « donneurs » de sang américains qui vendent une partie de leur corps contre rémunération. Au cœur du business décrit par un documentaire d’Arte se trouve le plasma, qui vaut plus cher que le pétrole. Le plasma contient en effet des protéines permettant de produire des médicaments coûteux et très rentables. Une poignée d’entreprises se partagent le marché mondial : l’américain Baxter, l’australien CSL Behring, l’espagnol Grifols et le suisse Octapharma. 80 % du sang donné en Suisse est vendu à l’industrie pharmaceutique, la Croix-Rouge suisse empochant au passage 10 millions de francs suisses (9,4 millions d’euros) annuellement.
Avec des bénéfices s’élevant à plus d’un milliard d’euros, la société suisse Octapharma, l’un des quatre acteurs principaux de ce marché florissant a implanté ses centres de collecte, principalement aux États-Unis, où le prélèvement rémunéré, interdit en Europe, est légal, et attire les habitants des quartiers défavorisés. Pour cette population appauvrie, notamment depuis la crise de 2008, le don de sang est parfois l’unique source de revenus. Il suffit de se rendre par exemple, à Cleveland dans l’une des banlieues les plus pauvres de cette ville anciennement industrielle et durement frappée par le crise, et où le « don » du sang, parfois au rythme de deux fois par semaine, peut rapporter jusqu’à 200 dollars par mois . Cette vente d’un produit de leur corps est une façon pour les « donneurs » de survivre sans faire appel à l’aide sociale ou à la mendicité, mais c’est au détriment de leur santé : fatigue, maux de tête, …

L’entreprise tire profit de la situation pour revendre à prix d’or ses produits – plasma simple ou transformé – aux hôpitaux européens. Cette marchandisation du corps pourrait présenter des risques sanitaires accrus, car le don rémunéré présente un danger : il incite les donneurs à mentir sur leur état de santé et attire une population à risques. Le documentaire d’Arte pose également de sérieuses questions morales. Est-il admissible que le sang des pauvres gonfle les profits des multinationales ? En dénonçant ces pratiques douteuses, le documentaire éclaire aussi sur les dangers d’une libéralisation progressive du secteur de la santé en Europe.
Grâce à L’Union européenne, Octapharma a obtenu en juillet 2013 le droit de vendre ses poches de plasma et ses produits dérivés du sans à tous les hôpitaux français, mettant fin au monopole de l’Établissement français du sang. Or personne ne peut garantir que ces produits ont été élaborés uniquement à partir de dons bénévoles. Cela n’a pas empêché Wolfgang Marguerre, propriétaire d’Octopharma, dont l’entreprise a été impliquée dans des scandales de corruption, d’être décoré de la Légion d’honneur par Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé en 2009…

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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