La farce présidentielle

Le Monde diplomatique – 17/04/2017 – Alain Garrigou –

Nul besoin de connaître son résultat pour affirmer que l’élection présidentielle de 2017 aura ressemblé à une farce. L’introduction d’élections primaires à droite, chez les écologistes et au Parti socialiste (PS), a attesté l’incapacité des partis politiques à faire le choix interne de leurs candidats. Chez Les Républicains (LR), on annonçait depuis des années le succès d’un candidat finalement battu. Au départ de la compétition officielle, pas moins de onze candidats restaient en lice. De manière inédite, les sondages ont bouleversé le scénario pour faire gagner François Fillon, avant que les affaires ne s’en mêlent.
Au détour d’emplois fictifs présumés de son épouse, de cadeaux avérés de ses « amis » et de ses excuses pathétiques, le candidat de la droite est apparu bassement intéressé après avoir fait campagne sur la probité politique. Dans cette palinodie, le spectacle le moins ridicule n’a pas été la recherche d’un plan B pour le remplacer, en la personne d’un candidat battu, voire d’un ancien président arrivé en troisième position, par ailleurs mis en examen. Tout cela pour revenir au point de départ avec le parjure de celui qui s’était engagé à renoncer dans l’hypothèse d’une mise en examen. La suggestion invraisemblable fut faite de reporter les élections. La révélation d’emplois fictifs au Front national (FN) ajoutait aux turpitudes. Jusqu’au refus de sa candidate, contemptrice de l’Europe, de se rendre à une convocation judiciaire, au motif de son… immunité de parlementaire européenne. L’incohérence voire le parjure se sont banalisés à en juger par le ralliement du candidat PS battu, parmi d’autres, à un candidat hors parti (mais pas hors système). Il semble donc que tous les principes de la compétition démocratique soient bafoués sans vergogne. La liste des trahisons, mensonges et vilénies pourrait être allongée pour conférer encore plus à cette élection présidentielle l’allure d’une farce.
Si le ridicule ne tue pas les personnes, il tue les institutions. Comment a-t-on pu en arriver là ? Sur le plan des institutions, la vision gaullienne était celle de « bonnes institutions ». Pas de doute sur le fait que cette élection du chef au suffrage universel était fondamentale pour un homme qui concevait l’autorité selon le rapport direct d’un chef avec son peuple. Conception d’un homme qui n’aura jamais cessé d’être un militaire attaché à l’unité de commandement. Le changement politique en France dans le contexte de l’émergence de nations indépendantes se dotant de textes fondamentaux  désignait l’ensemble du système de gouvernement et aussi bien les valeurs que les règles — par exemple la vertu civique autant que les attributions d’une fonction politique. Le général de Gaulle combinait ces deux registres en associant la rédaction d’une nouvelle Constitution à son retour au pouvoir, et en attendant de cette institution particulière — l’élection du président au suffrage universel —une légitimité supérieure et incontestable.
La longévité de la Ve République lui a encore donné raison, à constater la stabilité du nouveau régime par rapport à l’instabilité des républiques parlementaires précédentes. Mais on ne peut plus analyser la politique française comme si ce pays était un isolat sur la planète. Politique française prise dans les rets de l’interdépendance internationale, corps social mis à mal par les transformations globales — à commencer par la plus grande circulation des personnes et des marchandises —, la désindustrialisation, les déclassements et les faillites d’institutions comme l’école, incapables de créer les conditions d’une unité. Certes, le phénomène n’est pas seulement français. Mais ça n’est pas rassurant. Il n’empêche, un diagnostic restreint sur l’institution présidentielle peut être formulé :
 La fonction présidentielle a changé. Après plusieurs décennies de partage du pouvoir entre présidence et gouvernement, la concentration des prérogatives entre les mains du chef de l’État a conduit à un hyperprésidentialisme. Déjà des conseillers de l’Élysée avaient été promus au rang de ministres, comme Michel Jobert pendant le mandat de Georges Pompidou, Hubert Védrine sous le deuxième mandat de François Mitterrand ou encore Dominique de Villepin sous celui de Jacques Chirac, mais rien de systématique. Sans doute le virage le plus net est-il intervenu avec Nicolas Sarkozy qui l’a revendiqué. Jusqu’à concentrer à l’Élysée les ministères de l’intérieur, de l’économie, des affaires étrangères, sans parler de la justice avec des conseillers spéciaux autour du président ayant plus de poids que les ministres. On n’insistera pas sur le rôle du premier ministre, qualifié de « collaborateur ». Significativement, l’inflexion a été confirmée par François Hollande.
 En ne jurant plus que par les élections, les dirigeants politiques contribuent moins à un renforcement de la démocratie — comme ils le croient sûrement —qu’ils ne participent paradoxalement à la vider de sa substance. Pourquoi faire des élections ? Pour conquérir le pouvoir évidemment. À condition de ne pas omettre que l’élection désigne le vainqueur mais doit aussi lui conférer la légitimité de gouverner. Le cas du candidat LR montre bien combien la classe politique, du moins une partie d’entre elle, non celle des élus de base mais celle des prétendants aux hautes fonctions officielles, a perdu de vue la fonction légitimatrice de l’élection. Gagner, un point c’est tout, en prenant le pouvoir comme une capacité objective, une chose qu’on garde jusqu’à la prochaine élection. Une fois doté de ce sceptre ou ce trophée, les gouvernés n’auraient plus qu’à obtempérer. Inutile de dire que cette élection, qui dans l’esprit de son créateur visait à établir un lien direct entre le chef de l’État et le peuple, s’est éloignée de ses principes originels.
Or la démocratie n’est certainement jamais plus vivante que lorsqu’elle est contestée. Qui pour la contester aujourd’hui ? Elle n’a jamais été aussi atone, pour ne pas dire délaissée. La menace qui se précise est bien celle de l’indifférence — indifférence au peuple comme objet au nom duquel on parle et pour lequel on est censé agir : cécité curieuse des professionnels de la politique étrangement atteints d’un mal pernicieux, une sorte d’algoataraxie, une insensibilité à autrui, ici aux citoyens. On reste étonné par exemple de l’incompréhension de certains dirigeants politiques devant leur propre impopularité. La farce traduit donc l’impression laissée par un système politique réduit à une mécanique dont le sens a été perdu. Que les citoyens se laissent aller à l’indifférence démocratique par colère est une chose, que des dirigeants le fassent par intérêt en est une autre.

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