Imposture extrême-droite : Non, Macron ne veut pas exonérer les multimillionnaires de taxes sur le capital

Une vidéo largement partagée sur Facebook affirme que le candidat voudrait « préserver les intérêts des fortunes financières au détriment des classes moyennes supérieures ».
Le Monde | 27.04.2017 | Par Adrien Sénécat
« L’imposture Macron démasquée », « concret et imparable ! ». Une vidéo relayée par la page Facebook d’extrême droite On aime la France, et visionnée plus de 130 000 fois en quelques heures, affirme que le candidat qualifié au second tour voudrait « préserver les intérêts des fortunes financières au détriment des classes moyennes supérieures » avec ses mesures fiscales. Ce qui est factuellement plutôt faux.
CE QUE DIT LA VIDÉO
L’auteur de ce message est Rafik Smati, un entrepreneur qui a essayé de se présenter à l’élection présidentielle avant de soutenir François Fillon. Il a publié cette vidéo d’environ 5 minutes sur YouTube le 17 mars, où elle a réuni plus de 100 000 vues, avant de circuler de nouveau depuis sa récupération par la page Facebook On aime la France.
Dans ce message, Rafik Smati s’interroge sur la réforme de l’impôt sur la fortune (ISF) au programme d’Emmanuel Macron :
« J’ai une devinette pour vous. D’un côté, vous prenez une famille de retraités qui a travaillé toute sa vie pour se payer un appartement et qui par héritage est propriétaire d’une maison à la campagne. (…) Et vous prenez d’un autre côté un multimillionnaire qui a 100 millions d’euros sur son compte, qui collectionne les voitures de collection, les œuvres d’art, qui vit à l’année dans un palace (…). Eh bien qui des deux, d’après vous, sera considéré par Emmanuel Macron comme fortuné ? »
Réponse : « Le couple de retraités ». Et Rafik Smati de s’interroger : « Que cherche à faire Emmanuel Macron ? » Un peu plus tard dans la vidéo, il accuse le candidat de « privilégier le monde qui est le sien, qui est celui de la finance spéculative, aux classes moyennes supérieures ». En conclusion, il lance un « défi » : « Démontrez-moi que cet exemple est invalide. »
POURQUOI C’EST FAUX
Adrien Sénécat Journaliste aux Décodeurs
  1. Comment Emmanuel Macron veut transformer l’ISF
Pour bien comprendre de quoi il est question ici, il faut d’abord revenir à la nature même de l’ISF. Cet impôt est réservé aux foyers fiscaux dont le patrimoine fiscal dépasse 1,3 million d’euros au 1er janvier de l’année. Jusqu’ici, il comprenait les actifs immobiliers (avec une décote de 30 % pour la résidence principale), les placements financiers, les véhicules, etc. La liste est disponible sur le site service-public.fr.
Le projet d’Emmanuel Macron est de remplacer l’ISF par un « impôt sur la fortune immobilière » (IFI). Ce dernier fonctionnerait exactement de la même manière que l’ISF actuel, avec les mêmes seuils, mais ne conserverait que les actifs immobiliers dans son calcul. Ce qui veut dire que personne ne paierait un IFI supérieur à son ISF actuel. Même le « couple de retraités » évoqué par Rafik Smati, qui pourrait aussi voir son ISF baisser voire disparaître avec l’exclusion de certains pans du patrimoine du calcul de cet impôt.
Actuellement, moins de 1 % des foyers fiscaux sont redevables de l’ISF (331 000 en 2014 sur 37 millions), ce qui, même pour les plus faibles patrimoines d’entre eux, en fait difficilement des « classes moyennes supérieures », même s’il existe de rares cas de ménages devenus redevables de l’ISF à cause de l’explosion du prix au mètre carré, comme sur l’île de Ré (Charente-Maritime).
En 2014, les foyers français assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) étaient 331 010, selon la direction générale des finances publiques. Et au moins un de plus, si l’on ajoute le cas d’Emmanuel Macron.
En 2014, toujours, ces foyers étaient redevables d’un ISF moyen de 15 680 euros, pour un gain total pour l’Etat de 5,19 milliards d’euros. Il faut également noter que cet impôt est modéré pour les patrimoines qui dépassent tout juste le seuil de 1,3 million d’euros (moins de 4 000 euros par an, jusqu’à 1,5 million).
  1. Au total, Emmanuel Macron ne veut ni taxer plus, ni moins, le capital
Par ailleurs, le projet du candidat d’En marche ! sur le plan de la fiscalité du capital dépasse cette transformation de l’ISF. Il entend aussi créer un « prélèvement forfaitaire unique » sur les revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values…), « de l’ordre de 30 % », là où il existe aujourd’hui des régimes fiscaux différents.
Selon les chiffrages du candidat, cette évolution induira des recettes supplémentaires pour les finances publiques, qui feront qu’au total « la réforme de la fiscalité du capital se fera à coût nul ».
  1. Les « multimillionnaires » ne seront pas exonérés
Pour revenir à l’exemple du « multimillionnaire » évoqué par Rafik Smati, ses « 100 millions d’euros sur son compte » seraient taxés s’il s’agit d’épargnes rémunératrices, à hauteur de 30 % des gains. Ils ne le seraient en revanche pas s’il s’agit d’un compte courant, mais le cas de figure est tiré par les cheveux. Seuls les bien mobiliers qui ne rapportent pas de revenus (comme des voitures de collection, par exemple), sont exonérés avec la formule d’Emmanuel Macron, exonération compensée par ailleurs. Mais le « palace » mentionné par Rafik Smati reste taxé dans les deux cas.
En résumé, les orientations de la réforme de la fiscalité du capital d’En marche !, sur une ligne économique libérale, tendent à la « simplifier » et à, selon lui, encourager les investissements. Et si elle ne vise pas à augmenter la taxation du capital, il est erroné d’affirmer qu’elle viserait à la diminuer, et encore moins à dispenser les millionnaires de taxes.
Adrien Sénécat Journaliste aux Décodeurs

Le ministre de l’économie a déposé une déclaration d’impôt rectificative pour les années 2013 et 2014, car il aurait sous-estimé un bien immobilier de son épouse, au Touquet (Pas-de-Calais), selon le fisc. En ajoutant ce bien au reste de son patrimoine, le couple Macron devenait redevable de l’ISF, selon Mediapart et Le Canard enchaîné. Mais comment fonctionne cet impôt, régulièrement sur le devant de la scène ? Explications.
Qui a créé l’ISF ?
L’impôt de solidarité sur la fortune est autant discuté que remanié par la gauche depuis la création de son ancêtre, l’impôt sur les grandes fortunes, par le gouvernement Mauroy en 1982. Le gouvernement Chirac était revenu dessus en 1987. Mais une fois la gauche revenue au pouvoir, en 1988, le gouvernement Rocard avait rétabli un dispositif similaire sous un nouveau nom : l’ISF.
Nicolas Sarkozy a ensuite décidé, en 2011, d’alléger cette contribution… avant que François Hollande ne l’augmente à nouveau. En 2016, l’idée de taxer le capital est toujours à l’origine de controverses. Outre la France, l’Espagne est l’un des seuls pays d’Europe à le faire, avec des modalités différentes. La plupart des candidats à la primaire du parti Les Républicains proposent d’ailleurs de supprimer cet impôt.
Qui le paie ?
L’ISF est un impôt réservé aux foyers fiscaux dont le patrimoine dépasse 1,3 million d’euros au 1er janvier de l’année. Pour les personnes qui ont leur domicile fiscal en France, on compte l’intégralité du patrimoine, en France et dans le reste du monde. Pour ceux qui ne sont pas des résidents fiscaux tricolores, le calcul exclut les biens à l’étranger.
Le périmètre du calcul de l’ISF est celui du foyer fiscal. Ce qui comprend, sauf exception, les couples et les enfants mineurs. Contrairement à ce qui se pratique, par exemple, pour l’impôt sur le revenu, le « seuil de redevabilité » de l’impôt sur la fortune ne varie pas en fonction du nombre de personnes rattachées au foyer fiscal.
Attention : les sommes gagnées en cours d’année, déjà comptées dans l’impôt sur le revenu, ne sont pas prises en compte dans le calcul. En théorie, on peut gagner 10 millions d’euros au Loto, tout dépenser sans se constituer de patrimoine et ne pas être redevable de l’ISF.
A l’inverse, un exemple souvent utilisé est celui d’un couple de retraités habitant de l’île de Ré (Charente-Maritime), qui touchait 1 000 euros de retraites à deux en 2005, mais devait payer l’ISF à cause de l’explosion du prix du mètre carré sur l’île en plusieurs décennies, passé de l’équivalent de 10 euros à plus de 5 000 euros.
Qu’est-ce qui entre ou pas dans le calcul du patrimoine ?
Le patrimoine net est calculé en prenant la valeur des biens imposables et en en déduisant ses dettes.
Sont pris en compte : les propriétés (maisons, appartements, terrains, etc.), les placements financiers, les liquidités (espèces, comptes courants, etc.), les meubles, les véhicules, les chevaux de course, les bijoux… Bon à savoir : la résidence principale entre bien dans le calcul, mais avec une décote de 30 %. Pour une maison à 200 000 euros, 140 000 euros entreront dans le calcul. La liste complète des biens concernés et les modalités d’estimations sont disponibles sur Impots.gouv.fr.
Sont exonérés, entièrement ou partiellement : certains biens professionnels et d’autres non professionnels (objets de collection, certaines rentes viagères, etc.).
Peuvent être déduits : les emprunts, découverts bancaires, la taxe d’habitation… la liste complète est disponible sur Impots.gouv.fr.
C’est aux particuliers de calculer leur patrimoine et de le déclarer ; ce qui peut se révéler complexe. La valeur patrimoniale peut en effet varier, et le propriétaire être tenté de la minorer. Ceux dont le total du patrimoine dépasse 1,3 million d’euros, mais est inférieur à 2,57 millions, peuvent le faire en même temps que leurs revenus. Ceux dont les biens dépassent 2,57 millions doivent faire une déclaration d’ISF spécifique.
L’administration fiscale peut néanmoins contrôler ces déclarations ; ce qui peut, en cas d’irrégularités, entraîner des contentieux et des pénalités pour ceux qui auraient sous-évalué leur patrimoine.
Combien représente-t-il pour les contribuables concernés ?
L’ISF est un impôt progressif. Ceux dont le patrimoine ne dépasse pas 1,3 million d’euros ne le paient pas. La contribution des autres est calculée par tranches :
Les 800 000 premiers euros sont exonérés.
Les montants allant de 800 000 euros à 1,3 million d’euros sont taxés à 0,5 %.
De 1,3 million à 2,57 millions d’euros : 0,7 %.
De 2,57 millions à 5 millions d’euros : 1 %.
De 5 millions à 10 millions d’euros : 1,25 %.
Au-delà de 10 millions d’euros : 1,5 %.
Il existe également une décote pour les patrimoines de 1,3 million à 1,4 million d’euros, afin de limiter l’effet de seuil. Par exemple, l’ISF d’un patrimoine de 1,31 million serait de 2 570 euros sans décote, mais est réduit à 1 445 euros.
Le montant moyen payé par les 331 000 redevables de l’ISF était de 15 680 euros en 2014, pour un total de 5,19 milliards rapportés au budget de l’Etat. En 2013, 90 % des foyers assujettis à l’ISF déclaraient des patrimoines estimés entre 1,3 million et 4,1 millions d’euros, selon un rapport parlementaire.
Voici quelques exemples de montant de l’impôt sur la fortune en fonction du niveau de patrimoine des contribuables :
Pour des patrimoines de moins de 2 millions d’euros, le taux global de l’ISF représente moins de 0,5 % du total. Et dans le cas d’Emmanuel Macron, les montants cumulés des deux années de retard et des pénalités pourraient ne pas dépasser 10 000 euros, selon Mediapart.
Contacté par Le Monde, l’entourage du ministre a fait valoir le secret fiscal et assuré que sa situation était « tout à fait régulière », ajoutant que le couple n’avait « fait l’objet d’aucune notification de redressement », sans donner plus de précisions.
Adrien Sénécat Journaliste aux Décodeurs
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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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