L’Europe, enjeu du second tour des présidentielles

Charlie Hebdo – 26/04/2017 – Gérard Biard –

Depuis le « choc » du 21 avril 2002, l’élection présidentielle fonctionne selon deux principes : le FN peut être présent au second tour, et le candidat qui l’affronte est certain de l’emporter.

Quinze ans plus tard, le premier principe s’est vérifié, sans surprise cette fois, puisque la présence de Marine Le Pen au second tour était, selon tous les sondages, la seule certitude de ce scrutin. Le FN est une nouvelle fois qualifié, et, ce coup-ci, ce n’est pas un accident.

Pour le deuxième principe, ce n’est pas encore tout à fait gagné, même si Emmanuel Macron se prend déjà pour Elvis franchisant les portes de l’Élysée et si la plupart des autres candidats « importants » ont appelé à voter pour lui au second tour. La plupart sauf un : Jean-Luc Mélenchon, qui, dans une séquence partagée entre égo meurtri et rancœur bileuse, a lancé dimanche soir un « démerdez-vous » bien peu républicain… Les électeurs « insoumis » ne sont pas assez nombreux pour faire la différence – d’autant que, parmi eux, il en est beaucoup, souhaitons-le, qui refuseront cette stratégie du chaos qui mise sur l’explosion du « système » -, mais ils fournissent un indice important sur le nœud de ce second tour : l’Europe. C’est contre l’Europe et contre la « mondialisation » de l’économie qu’on lui associe immanquablement qu’à fait en grande partie la campagne de Mélenchon. C’est contre l’Europe et contre le « mondialisme » que fera campagne Marine Le Pen pour ce second tour.

La comparaison s’arrête là. Mais elle est mérite qu’on s’y attarde car elle n’est pas anecdotique. Le vote anti-européen représente 41 % de l’électorat de cette élection. Si l’on y ajoute les voix du souverainiste acharné Dupont-Aignan et, pour arrondir, celles d’Asselineau, le candidat du « Frexit », on arrive à pratiquement 47 %.  Il suffit que les illuminés réactionnaires du mouvement Sens commun, soutiens indéfectibles de Fillon, s’aperçoivent – à raison – qu’ils ont plus de points commun avec Le Pen qu’avec le libéral Macron pour que, le 7 mai prochain, on puisse vraiment parler, cette fois de séisme politique… Ne paniquons pas : l’enjeu d’un second tour ne se résume pas à des questions arithmétiques. Emmanuel Macron sera probablement élu. Mais il est tout aussi probable qu’il ne le sera pas avec un score chiraquien, et que la mobilisation pour empêcher le pire n’aura rien de comparable avec celle de 2002.

Il va donc lui falloir, dans cet entre deux tours, parler d’Europe. Parce que Marine Le Pen va en parler, elle. Même quand elle fera mine de parler d’autre chose, ce sera le cœur de son discours. Et on sait déjà ce quelle va en dire : passoire à immigrés-terroristes, usine à précarisation et à chômage, destructrice de services publics, dissolvant d’identité, voleuse de souveraineté nationale, cheval de Troie de la « mondialisation » et de la financiarisation de l’économie, incarnation du « système »… Lui agiter un petit drapeau étoilé sous le nez ne suffira pas. Lui parler d’amour, de fraternité et de liberté d’entreprendre non plus. Et il n’est pas certain que le simple rappel de soixante-dix années de paix ininterrompue suffise davantage : quand on est prêt à voter Le Pen, la mémoire n’est qu’un détail.

Emmanuel Macron va devoir une fois encore innover et surprendre. Mais ce coup-ci, sans trop d’esbroufe et avec du fond. Il va devoir faire ce qu’aucun candidat n’a jamais fait, ou en tout cas depuis belle lurette : enthousiasmer en parlant d’Europe. Mais il va surtout falloir qu’il trouve d’autres mots que ceux qu’il  a l’habitude d’employer. Des mots politiques. Pour parler d’un espace que tout le monde, lui compris, ne voit plus exclusivement que comme une grande zone d’échanges économiques… L’Europe est évidemment bien plus que çà, mais comment le dire aujourd’hui ? Comment couvrir la cacophonie ? Il faut espérer que Macron a vraiment, comme le soutiennent ses fans les plus ardents, du talent. Surtout avec les législatives en embuscade…