LE MONDE | 24.07.2017 | Par Fabrice Lhomme et Gérard Davet
Têtes brûlées (6/6). Ce sont des personnages hauts en couleur, controversés et volontiers provocateurs. Aujourd’hui, l’acteur de cinéma et homme de théâtre au verbe haut perché.
Fabrice Luchini à Paris, le 3 juillet.
On s’était croisés sur le plateau de l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché », à l’automne 2016. Nous étions venus y parler de François Hollande. Présent lui aussi, Fabrice Luchini, invité vedette, nous avait demandé, tout à trac, devant quelques millions de personnes, si l’on ne se sentait pas homosexuels, parfois. Puis il avait déclamé du Nietzsche, et on s’était sentis, comment dire, dépassés. Il nous en était resté, aussi, une interrogation latente : comment vit-on avec tous ces auteurs dans la tête ? Question subsidiaire : Luchini est-il vraiment lui-même dans ces instants de folie télévisuelle, ou joue-t-il simplement, avec brio, le rôle qu’on lui assigne, celui d’un bateleur érudit ?
Aucun autre comédien n’arrive à remplir les salles de théâtre en lisant des textes d’écrivains ou de poètes qui comblent d’aise autant le public que la critique. Mais Fabrice Luchini ne joue-t-il pas en permanence son propre rôle ?
La télévision demeure son terrain de jeu préféré. Prenez un café avec lui au Flore, et, entre deux digressions sur Johnny, Céline, Bernanos ou Macron, il s’interrompra pour féliciter chaleureusement Jean-Baptiste Boursier, le roi de l’antenne tardive chez BFMTV, assis à l’autre bout de la salle. Luchini aime la télé, qui le lui rend bien. Il dit avoir envoyé quelques SMS de soutien à David Pujadas, après son éviction du « 20 heures », et singe à merveille Nathalie Saint-Cricq, patronne du service politique de France 2 : « Le problème des Républicains, David, c’est qu’ils sont pris dans une tenaille… » Il prend la pose, l’intonation, doucement moqueur : « Elle fait tout le temps la maligne, la Saint-Simon du pouvoir ! » Il rit. Et combien de fois a-t-il chanté : « Quoi, ma gueule, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? », dégoupillant gentiment, jusqu’à transformer le studio de télé en théâtre éphémère, dévolu à son amour de l’improvisation ?
« Mon désarroi véritable »
On pourrait donc s’y tromper, en conclure, en ces instants de délire, que cet homme est un provocateur patenté, un être totalement indocile. Erreur. La télévision française est devenue si conformiste, finalement, qu’un rien suffit à créer des moments voués à la postérité. Luchini, rebelle sans autre cause que la sienne, l’a parfaitement compris. Alors, il donne de l’inattendu. Mais il a le dérapage très contrôlé. « J’ai l’efficacité du petit commerçant qu’était mon père, je suis là pour vendre un produit, un film ou un spectacle. J’ai une stratégie de commerçant, je sais ce qu’il faut faire pour vendre, s’amuse-t-il. Mais ce numéro est très difficile à faire, pour ne pas qu’il devienne pathologique, c’est un truc très pointu. Faire un “20 heures”, et le réussir, c’est plus difficile qu’une représentation. J’ai trop de bol, un jour je serai mauvais. Mais c’est contrôlé, alors qu’avant, j’en étais victime. »
Devine-t-on seulement que, après chacune de ses performances en prime time, Luchini repart sans mot dire retrouver son chien, son petit appartement dans le nord de Paris, sa compagne ? Et il est malheureux, en général. Un état assez permanent chez lui. « Je ne veux pas parler de moi à la télé, j’avance masqué. Je ne veux pas arriver dans mon désarroi véritable, sinon les gens vont se dire : “Il est dingue, ce mec !” S’ils me voyaient, le matin, malheureux, flippé, en train de prendre mes petits corn flakes, avec mon chien à côté de moi… Si j’imposais à la télé cet état psychique délabré, ce serait d’une immense impolitesse. »
Il y aurait donc maldonne : ces fragments de télé ne seraient que leurres. Luchini accorderait de temps à autre un peu de son talent aux « déambulants approbatifs » (l’expression est du romancier et essayiste Philippe Muray, qu’il adore), c’est-à-dire nous tous, les assoiffés du passe-temps récréatif. « Le festif comme système totalitaire », assène-t-il. Tout ça pour mieux promouvoir ses spectacles. Et ensuite se calfeutrer. « Je ne suis pas confortable avec moi-même », résume-t-il.
Parole leste
Cet après-midi-là, dans le recoin d’un café du 17e arrondissement, il est venu avec sa chienne, il l’extirpe de sous le canapé, de peur qu’elle déniche de la mort-aux-rats. Il la vénère. Une tête brûlée, Luchini ? Un cynique désenchanté plutôt, à la parole leste, qui lui vaut toute sa place dans cette série consacrée aux briseurs de codes. Ce type parle cru, nomme les choses, les gens. Courageux, à sa façon. « L’empire du bien, c’est à périr, on ne doit plus dire du mal, c’est effrayant », regrette-t-il.
Après l’entretien, il partira chez son psy. Sa matinée ? Triste à pleurer. « Dès que je ne travaille pas… J’ai passé la journée dans une hébétude, une fatigue… Sans rebondissement. J’ai fait un pari orgueilleux : me passer de l’ivresse de l’action. » Il a déjeuné seul, s’est allongé, a pensé à la mort. « Je ne vais pas bien. Je m’éloigne de mes contemporains, je sais qu’ils sont fous. Mais je suis un misanthrope à deux balles. » Puis il est parti, sa sacoche à la main, avec ses textes, ses bouquins mille fois ouverts, ceux qu’il va lire à une foule enamourée à la rentrée, à Paris. Karl Marx, Jean Cau, Pascal Bruckner… Un nouveau spectacle sur le thème de l’argent.
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Il est aussi allé repérer un appartement, en douce. Il veut s’agrandir, accueillir un second chien. Il a écouté les bruits de la ville, les sirènes des pompiers – « Je suis un phobique du bruit », glisse-t-il. Ensuite, il a erré de square en square – avec sa casquette, on ne le reconnaît pas. « Il y a un crétin qui est venu avec sa guitare, il m’a cassé les couilles », raconte-t-il. Alors, il s’est rendu avenue Junot, sur la butte Montmartre, envahie par des hordes de touristes. Il s’est assis sur le banc préféré de son père. Seul, avec, dans sa tête, tous ses amis intimes, Céline, évidemment, Muray, encore et toujours, Nietzsche bien sûr, pas le choix. Et puis Cioran, évidemment, le génie des Carpates, l’auteur de La Tentation d’exister, son livre culte, dont le titre semble avoir été écrit pour Luchini…
Son cerveau, un salon littéraire
Il faut une bonne dose de schizophrénie pour déclamer avec une telle jubilation des extraits d’œuvres enivrantes, quand tant d’écrivains désespérés organisent dans votre cerveau un salon littéraire sans fin… Comment fait-il pour s’y retrouver ? « Je suis obsessionnel, réplique-t-il. Ces gens-là, c’est une matrice. » On est bien avancés. Il ne répond pas beaucoup plus précisément lorsqu’on lui demande pourquoi, tel le joueur d’échecs de Stefan Zweig, il emmagasine toutes ces citations, jusqu’à s’en gaver : « Pour que je sois une éponge, que je retienne tant, il faut que le moi soit en mauvais état. Il n’y a pas de comédien heureux, ou alors il ne travaille pas beaucoup… »
Il triture ses feuilles format A4, tire un peu la langue, un tic caractéristique, signe de grande concentration chez lui, la voix enfle, Molière reprend vie sous nos yeux. Les clients du café, eux, n’en croient pas leurs oreilles. « Des mœurs du temps, mettons-nous moins en peine, faisons un peu grâce à la nature humaine », psalmodie-t-il. Le voilà qui récite maintenant une partie de son prochain spectacle. D’abord Marx, qui cite Shakespeare : « La tête savante fait plongeon devant l’imbécile vêtu d’or. » Il s’arrête, commente : « La société produit un divertissement mécanique, on est condamné à rire. Moi, je les angoisse au début, avec Marx, Péguy, et je les explose de rire ensuite. Et là, j’attaque Cioran : “Quand j’étais jeune, je pensais à la mort à tout instant.” »
Luchini ou le festival permanent. « J’ai soif de savoir, explique-t-il, j’en ai été privé, jeune, j’ai quitté l’école à 13 ans. » Il suffit d’écouter l’émission « Répliques », d’Alain Finkielkraut, sur France Culture, pour deviner Luchini, invité d’un jour, début mai, buvant les paroles du « philosophe grincheux », comme il l’appelle.
Un acteur qui compte
Les écrivains pessimistes sont ses grands hommes. Tous du passé. Le présent trouve peu grâce à ses yeux. Il n’a pas aimé la période électorale. Il a failli partir s’installer en Italie, le pays de ses ancêtres. Une lubie, après un déjeuner avec l’ambassadeur d’Italie en France, qui lui avait expliqué que les impôts étaient plafonnés, là-bas. « Je m’interrogeais, le climat était étrange, l’agressivité de Mélenchon, Le Pen… Si l’un des deux passait, je partais. Ce n’est même pas une question d’impôts… » Quoique. « On est dans un pays hyper-redistributeur. Et eux, ils n’arrêtent pas de dire : “Moi, je te prends tout.” Mais moi, je veux garder ! C’est hyper-simple, j’ai rien volé, je suis né à Barbès, mon père vendait des légumes, j’ai été coiffeur de 13 à 20 ans… Mais si on me dit : “Dégage”, je m’en vais. Bon, pas si facile, quand même. Vieillir dans un pays étranger, je me fous une balle. » Mélenchon, il dit avoir dîné une fois avec lui, l’insoumis l’aurait d’ailleurs confondu avec Claude Rich, qu’il venait de voir dans la pièce Le Souper. En fait, il faut fréquenter assez assidûment Fabrice Luchini pour saisir son âme de transgressif.
Par exemple, il est l’un des rares dans le monde du spectacle à parler d’argent facilement, capable d’expliquer pourquoi il n’entend pas cacher son argent dans des comptes occultes : « Par prudence, pas par grandeur d’âme. Je ne suis pas du tout un homme de morale. » Il dispose de 8 000 euros – déclarés – en Suisse, et touche surtout près d’un million d’euros par film, même si l’Etat lui en prend une grande partie. « Je prends toujours cher par principe – je fais une moyenne de 800 000 spectateurs –, mais les impôts en prennent 74 %. Il suffirait de trois fours à la suite, et je ne serais plus payé. Enfin, il me restera le théâtre. Mon seul métier, en vérité, c’est de restituer Péguy. »
Il a peu d’amis dans le milieu, à part peut-être André Dussolier. Dans l’Hexagone, ils sont une petite vingtaine d’acteurs à truster les grands rôles : « Le gâteau n’est pas grand, je ne vais pas faire de discours soporifique, il y a de la compétition », admet-il. Il a choisi d’être bien payé en 1981, il peut le dater. Cette année-là, il accepte un rôle dans un moyen-métrage de Jacques Robiolles, La Forêt désenchantée, un film maudit, jamais diffusé. Et pour cause : « On devait jouer à poil, sur un cheval, le zizi peint en orange ! J’avais obtenu 300 francs pour cinq jours de tournage. Et il y avait une foule de figurants, pas payés, dans la forêt de Fontainebleau, sous la pluie, nourris de chips, qui se faisaient engueuler à tout moment. Il leur disait : “Vous êtes des merdes, le seul professionnel, c’est lui”, en me désignant. J’étais le seul à être payé. Je me suis dit, ce jour-là, que je ne ferais jamais rien gratuitement. L’argent, c’est ma récompense. »
Saillies graveleuses
Il peut aligner les chiffres, il a tout en tête. « Mon père m’a appris une chose : être un épargnant. Il me disait : “Si tu as 100 000, tu mets 55 000 de côté.” C’était un marchand de légumes, on est nés là-dedans. Avec ma mère, ils comptaient la caisse chaque soir, tant de radis ou de scaroles vendus… Bon, par rapport à Bolloré, je suis un Roumain, et par rapport à BHL, un sous-Roumain ! Mais je ne suis pas en train de me plaindre, hein. Je suis riche, je gagne très bien ma vie. » Et il a cette phrase, qui dit aussi son rapport au métier de comédien : « Chaque soir, je tapine avec ce qu’il y a de mieux, Péguy, Cioran, je fais une belle passe ! Parce que c’est une passe de jouer, tu tapines. Tu vois une pute qui baiserait gratuitement ? » Evidemment, ce type d’envolées ne le rend pas très populaire dans la corporation. Il s’en moque. « On aime admirer, lâche-t-il, et on n’est pas mécontent que l’autre se plante. Comme disait Brasseur dans Les Enfants du paradis : “Mon Dieu, qu’il soit un peu mauvais.” »
Il fuit les mondanités. Il peut se le permettre, les producteurs se l’arrachent. Il faut le voir sur le plateau de tournage de son prochain film, Un homme pressé, d’Hervé Mimran, où il joue le rôle de Christian Streiff, l’ancien PDG de PSA, terrassé en pleine gloire patronale par un AVC, jusqu’à ne plus savoir parler. A Bry-sur-Marne, dans les studios, il a sa maquilleuse personnelle, son factotum qui lui allume ses cigarettes, ses fans qui le pressent pour un selfie. Dialogue surréaliste avec Christian Streiff, venu lui rendre visite. « Vous êtes un bel homme », dit l’acteur. « Vous aussi », répond l’industriel. « C’est la notoriété », s’amuse Luchini. Il improvise pour la foule des figurants, cabotine dans une scène muette où il doit mimer un discours : « Les femmes gouvernent le monde, ensemble pour la pénétration, pour le lâchage de la semoule… » Rires, un peu gênés quand même. « Je ne peux pas toujours être exceptionnel, c’est pénible l’attente des autres », s’excuse presque Luchini, qui se délecte de ses saillies graveleuses.
Lui n’attend plus grand-chose de qui que ce soit. Et puis, il a son Panthéon personnel, et ça lui suffit. Aux côtés des grands auteurs y trouvent place Philippe Caubère, Michel Bouquet ou… Jean-Yves Lafesse, le roi du canular téléphonique.
Amitiés politiques
Et puis il s’amuse, s’encanaille avec les hommes politiques. Il dit : « Je n’ai aucun problème à plaire aux rois », dont il sait qu’ils ne sauraient vivre sans divertissement. Alors, bouffon assumé, il les fréquente. Dans l’ordre, Sarkozy, Hollande et Macron. Est-il lui-même marqué ? Un peu, quand même. Il n’est pas de gauche, c’est sûr. Il a ses critères, sa ligne de démarcation, incarnée par les écrivains, toujours. « A la base de l’écriture de droite, il y a la méchanceté, professe-t-il. La droite a un sens de l’individu extrême, une vision du réel, il n’y a aucun miracle possible. Le drame de la gauche, en revanche, c’est l’obligation du collectif. Les socialistes, ils n’ont pas compris l’incroyable régression de la nature humaine. »
Il navigue en fait entre les deux pôles, au gré de ses amitiés successives. « Je hais la rapacité du capitalisme, le système Carlos Ghosn, jure-t-il, mais je ne suis pas tenté par la dictature du prolétariat, abjecte, abrutissante. » Sarkozy est venu voir à six reprises son spectacle sur Céline. Un soir, à la sortie du théâtre, un spectateur interpelle l’ex-président. Luchini raconte : « Il y a un mec en parka verte, genre mec qui va aux Amandiers [Théâtre Nanterre-Amandiers], il gueule dans la rue : “Oh non Luchini, pas avec ça.” Sarko va le voir, le mec lui dit avoir “été émerveillé par Céline, et voir Luchini avec vous, ça me fait débander”. Et Sarko réplique : “Après deux heures de génie littéraire, vous êtes toujours aussi bête, c’est à déprimer de la nature humaine.” J’étais sous le charme. »
Il y a surtout François Hollande. Mais l’acteur a la fibre possessive : « J’ai un gros ego, moi. Je veux de l’intime, de l’exclusif, je veux voir ces hommes-là sans autre compagnie. » Il a récemment invité Hollande à déjeuner chez le chef étoilé Pierre Gagnaire. Ils ont ri, comme toujours. Le président sortant goûte l’humour acide de l’acteur, ses imitations drôlissimes, comme lorsqu’il chante, ou plutôt anone, la chanson naïve d’Antoine Pourquoi ces canons ? Le voilà qui entonne devant nous un couplet : « Pourquoi, pourquoi ces canons ? Pour faire la guerre, mon enfant. Pourquoi, pourquoi plus souvent, qu’on ne l’imagine, faisons-nous la guerre aux gens ? Ça fait marcher les usines… » Il se marre : « C’est bon pour Nuit debout, ça… »
Quartiers d’été
Luchini pourrait narrer le code du travail, qu’il serait encore éblouissant. On imagine Hollande riant aux larmes : « L’humour, c’est merveilleux, car il y a un fond de méchanceté. Et avec Hollande, il y a une priorité au rire, à l’esprit. Les gens le prenaient pour un inculte absolu, c’est faux, dès que je lui ai parlé de Jean Cau, il m’a immédiatement cité son portrait de Mitterrand. »
On a aussi aperçu Fabrice Luchini à la Rotonde, au soir du premier tour victorieux d’Emmanuel Macron. C’est dans la résidence secondaire de l’acteur, sur l’île de Ré, que le futur président de la République a écrit son best-seller, Révolution. Souvent, Luchini est allé rendre visite à l’ancien ministre de l’économie, à Bercy. L’un récitait Gide et Camus, l’autre Cioran ou la préface du Gai savoir, de Nietzsche. « Macron, c’est un souvenir, maintenant, dit-il. Tout a l’air de bien se passer pour lui. Il a un sens aigu de la séduction. Il te donne l’impression d’une immense familiarité, comme s’il n’y avait pas eu d’avant ni d’après. » Le maître Luchini n’est pas fan des performances de l’élève Macron : « L’oralité n’est pas l’endroit où il excelle, il n’y a pas d’ampleur. »
Bientôt Luchini va prendre ses quartiers d’été sur sa chère île de Ré. Il va marcher, lire, travailler sa voix… Déprimer un peu, sans doute. Il ne prendra pas l’apéro, il a horreur de ça, les familiarités, les fêtes obligatoires, cela le ramène à ses angoisses. Il envisage de couper totalement son téléphone portable. D’oublier les bobos parisiens qui hantent son quotidien. Eux aussi l’agacent, le ramènent à sa condition d’animal triste. « Le bobo est heureux, constate-t-il sur le ton du reproche. D’ailleurs, il ne trompe pas sa femme, il veut du fromage de qualité… Je crois que tromper sa femme va devenir un truc historique, démodé, ou alors un truc de droite. Mais bon, ne disons pas trop de mal du bobo, il a créé une qualité de vie, il doit être heureux que Macron soit là. Mais il n’y a pas de tragique dans sa vie. » Lui en tout cas a cessé de vouloir séduire. « C’est sorti de ma tête, dit-il simplement. Ça m’a occupé pendant quarante ans… »
« Moi, je suis pour l’élite »
A la fin de tout, il restera le théâtre – « même si tu gagnes cent fois moins qu’au cinéma ». « Mon vrai travail, c’est la trace, dit-il joliment. M’approcher du geste, de la lettre, trouver la note musicale… » Peut-être regardera-t-il un peu la télévision, lui qui se demande comment un Cyril Hanouna peut avoir près de 5 millions de followers sur Twitter quand Philosophie Magazine ambitionne de vendre 50 000 exemplaires de son prochain numéro avec sa « une », qui lui sera consacrée. « Je ne juge pas, dit-il. Hanouna a une telle énergie. Et puis, on ne peut pas avoir le peuple tel qu’on le veut. Peut-être qu’Hanouna aide plus à vivre, offre plus de bonne humeur. On n’est pas patron de la pensée des autres. Moi, je suis pour l’élite, c’est pour ça aussi que je ne suis pas de gauche. »
Il espère se désintoxiquer des éditorialistes prodigues qui errent de plateau en plateau. « Il n’y a rien de pire que la pensée journalistique, assure-t-il. Elle s’y connaît dans tout, mais juste à peu près. Moi, je suis le contraire, je connais très peu de choses, mais très bien. » Un garçon de café vient le saluer, apporte ses œufs brouillés habituels, lui confie savourer la lecture de Péguy et Muray. Luchini rayonne. « L’énigme, elle est là. Le mec, il est venu voir mes spectacles, et il est barman… Ah, Mélenchon, viens voir les nuances… » Il s’en va. En pestant contre les deux-roues parisiens. Il a rendez-vous chez le docteur, évidemment.
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