L’Assemblée nationale vue par les nouveaux députés

Propulsés dans leur rôle d’élu, les nouveaux députés de tous les groupes politiques racontent leur découverte d’une institution dont ils espèrent faire bouger les pratiques

Le Monde | 03.08.2017 | Par Manon Rescan et Lucie Soullier
« Ce n’est plus très original d’être jeune à l’Assemblée nationale. » Dire que c’est l’un des benjamins du Palais-Bourbon qui parle. Robin Reda a 26 ans et cinq semaines d’expérience dans sa cravate de député. Celle qui a tant fait jaser. « Vous avez vu, je l’ai mise », dit en souriant le jeune élu Les Républicains qui tient à son costume, même s’il n’est plus qu’accessoire depuis que les députés de La France insoumise s’en sont affranchis.
Depuis quelques semaines, de menus détails bousculent, avec l’arrivée de nouveaux élus, les habitudes de la vieille institution. Il n’y a qu’à regarder les rangs de l’Hémicycle, bondés, ce qui est plutôt rare en plein cœur de l’été. Dans certaines réunions de commission, il a parfois fallu pousser les murs pour faire entrer tous les volontaires. Quant à la buvette de l’Assemblée, rien ne va plus. Le 28 juin au soir, pour la première séance de nuit, le comptoir où l’on descendait davantage de canons que de canettes est tombé à cours de jus d’orange et de Coca-Cola.
Regard vierge
Le Palais-Bourbon s’est rajeuni, féminisé, « sociétécivilisé ». Pour la première fois, ses élus ne peuvent plus cumuler leurs fonctions avec un mandat à la tête d’un exécutif local. Et les députés novices qui viennent d’y faire leur entrée, dans une proportion inédite, portent sur l’institution et leurs fonctions un regard vierge, avec l’espoir de ne pas ressembler à l’image qu’ils se font de leurs prédécesseurs : des professionnels de la politique, pas toujours en phase avec les réalités du terrain.
Bien sûr, il a fallu se fondre dans les coutumes de la vie parlementaire. Connaître les « petits trucs » des anciens pour exister. Comme ce conseil donné par le frontiste Gilbert Collard à Emmanuelle Ménard le jour de son arrivée : inscrire au plus vite son nom pour intervenir sur les « gros » articles, et espérer être parmi les premiers à prendre la parole, avant que l’hémicycle ne se vide….
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Le reste, la députée d’extrême droite du Gard raconte l’apprendre directement « dans le bain ». Rien de tel que de jouer les députés éponge : assiduité maximale durant l’été pour être efficace à la rentrée. La semaine dernière, elle n’était pas peu fière d’avoir fait sa première prise de parole spontanée. En levant la main, tout simplement. « Au début, je n’avais pas mesuré que c’était possible. »
« L’Assemblée a beau être rajeunie, plus paritaire, si vous ne connaissez pas le système, vous vous faites toujours un peu avoir », prévient Marine Brenier, qui n’est plus tout à fait profane. Voilà un an que l’élue LR des Alpes-Maritimes a succédé à son mentor, Christian Estrosi. A 30 ans, elle pardonne l’« amateurisme » de ses voisins d’hémicycle, le temps du « rodage ». Mais elle a déjà compris quelques ficelles. Comme celles à tirer pour ne plus écoper du bureau « cage à poules », sans lit, attribué à son arrivée alors qu’il lui faut traverser la France pour rejoindre sa circonscription.
« Prison dorée »
Privilège de l’élu de banlieue proche, Robin Reda peut retrouver son oreiller en trente minutes chronométrées tous les soirs, « heureusement ». « Vous imaginez, rester enfermé ici tout le temps ? L’horreur. » Il s’étonne encore du cocon que renferme cette « prison dorée », où « il suffit de tendre la main pour avoir un verre d’eau. Et encore, poursuit-il, je suis sûr que ce n’est pas l’endroit le plus ouaté de la République ».
Incarner une nouvelle génération d’élus. Ne surtout pas se complaire dans les privilèges de la République. Lors de leur accueil à l’Assemblée, combien s’étonnaient de leurs avantages, les regardant avec la distance de ceux qui espèrent ne pas trop y goûter. En accédant au poste de vice-présidente, Cendra Motin (LRM) a ainsi découvert les grâces associées : une chambre au Palais, un chauffeur vingt-quatre heures sur vingt-quatre, un budget pour s’acheter « une robe de cocktail »« Hallucinant, non ? »
Au diapason du président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, les derniers arrivants sont nombreux à prôner l’égalité entre citoyens et parlementaires. Le premier acte en ce sens a été posé, mercredi 2 août, avec la décision du bureau d’aligner sur le droit commun le régime de retraite des députés ainsi que leur système d’allocation-chômage. Un engagement qui était aussi une promesse d’Emmanuel Macron.
Seulement, certaines faveurs sont le corollaire d’une importante charge de travail, et les néophytes en prennent conscience au fil des semaines. Aujourd’hui, peu s’étonnent encore de leur droit à voyager gratuitement en première classe, surtout lorsqu’il leur faut parfois faire deux allers-retours à Paris dans la même semaine. Cendra Motin, elle, occupe de bonne grâce la chambre mise à sa disposition et a ainsi découvert un autre travers de la vie parlementaire. Depuis la fin du mois de juin, sa vie parisienne se cantonne à ce petit carré du 7arrondissement, entre un bureau et un hémicycle. « Et encore, avec le sous-terrain [qui relie les bâtiments], si je veux, je peux ne jamais voir la lumière du jour ! »
En Falcon dans sa circonscription
Ici se niche l’obsession qui taraude les nouveaux élus : comment garder une vie normale dans le tourbillon de l’Assemblée ? Comment éloigner de soi le spectre du député « hors-sol » qui perd pied avec la vraie vie des vrais gens ? « J’ai ma base : ma famille, mes amis, les militants », rétorque Caroline Fiat (La France insoumise) quand on la questionne sur le risque de perdre tout lien avec le terrain. Depuis un mois et demi, elle est « l’aide-soignante » de l’Assemblée, « au point qu’à un moment vous n’avez plus d’identité ! » s’amuse celle dont le métier a tant été mis en avant par Jean-Luc Mélenchon. « Je sais d’où je viens », poursuit-elle, faisant défiler les années de galère « de boulot, d’argent, de licenciements » avant de rejoindre l’hémicycle. La voilà désormais à Paris, quasiment à plein-temps, session extraordinaire oblige. « Avec mes anciennes collègues, on se disait qu’on était plus souvent à l’hôpital que chez nous, mais en fait, c’est pire quand vous êtes député ! »
Jean-Baptiste Moreau, député LRM de la Creuse, en sait quelque chose du rythme particulièrement intense de ce début de législature. « Dès le surlendemain de mon élection, j’étais accueilli par les cornes de brume des salariés de GM & S », raconte celui dont les joues rouges poupines sont devenues emblématiques dans cette Assemblée. L’agriculteur s’est trouvé propulsé dans la gestion de l’une des premières crises sociales du quinquennat, avec la liquidation de l’équipementier automobile de La Souterraine.
Depuis un mois et demi, il multiplie les rendez-vous avec l’exécutif, jusqu’à rentrer en Falcon dans sa circonscription, en compagnie du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, et du secrétaire d’Etat Benjamin Griveaux. Mais l’agriculteur, qui confie discuter avec « Emmanuel » une fois par semaine, tient à garder les pieds dans la terre, et continue de « faire le travail », le week-end, auprès de ses vaches allaitantes. Il pourra même jeter un œil à ses bêtes depuis l’Assemblée au moment des vêlages, grâce à son smartphone connecté aux webcams de son exploitation.
« Le système actuel fonctionne avec des politiciens à l’ancienne, plus vieux. Pas avec une nouvelle génération qui a des enfants et veut garder une activité professionnelle ou associative », analyse Erwan Balanant. S’il n’est pas élu de La France insoumise, le député MoDem en a un peu la dégaine, avec ses cheveux bruns en bataille et son absence de cravate – décidément. Outre le projet de loi de moralisation, le photographe devait gérer un autre front, personnel celui-là. Faute de lit dans son bureau, il vient de louer un appartement à Paris et s’est posé la question d’y rapatrier sa famille la semaine. Pour « garder un équilibre ». Pour les élus du MoDem, concilier vie politique, personnelle et professionnelle passe par une profonde réflexion sur le statut de l’élu, notamment pour faciliter les allers-retours entre différentes carrières. Sur les bancs de La France insoumise, Caroline Fiat l’a réalisé il y a quelque temps : « Après avoir tapé pendant cinq ans sur les DRH à l’Assemblée, je me demande bien qui voudra d’une aide-soignante chiante qui en plus attirera les médias ? »
Le chantier est lancé. Mercredi, François de Rugy a annoncé la création de sept groupes de travail, qui porteront les projets de réforme et de modernisation du travail parlementaire et de l’institution. Outre le statut des députés viendra une question chère à Matthieu Orphelin : l’efficacité du travail parlementaire. « Il faut que l’on arrive à réinventer le lien entre le travail en commission et celui dans l’hémicycle », plaide le député LRM du Maine-et-Loire. Lui propose notamment qu’il soit impossible de réexaminer en séance publique des amendements repoussés en commissions, ou encore que les réunions de ces dernières ne tombent pas pendant les débats dans l’hémicycle. Les séances, il les verrait d’ailleurs bien « réservées aux grandes questions politiques » et, comme d’autres, s’interroge sur la vertu des travaux nocturnes.
En attendant la fin des nuits à l’Assemblée, Caroline Fiat, l’aide-soignante rompue aux horaires décalés, a déjà transmis à ses camarades « insoumis » l’une de ses combines pour ne pas baisser la garde au cours des séances tardives. Une recette à base de caféine dont elle ne voudrait pas trahir le secret. On ne sait jamais, l’astuce de sa vie d’avant pourrait devenir une arme politique.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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