Eté – reportage : Le vin du paradis de l’abbaye de Lérins

Vins de messe (1/6). Les moines de l’île de Lérins, au large de Cannes, ont fait de la piquette locale de superbes cuvées. Mais la prière ne suffit pas.
Le Monde 07/08/2017

Lérins, comme une promesse de paradis. Quand le bateau débarque son contingent de touristes sur la petite île, à un quart d’heure de Cannes, dans les Alpes-Maritimes, les cigales, l’azur de la Méditerranée souligné par le soleil d’été qu’encadre la palette des verts des pins, des eucalyptus et des vignes, emplit le cœur de joie et de sérénité. Avec la promesse de goûter des vins superbes.

Au contraire des milliers de visiteurs qui assaillent son encombrante et non moins séduisante voisine, l’île de Sainte-Marguerite, Saint-Honorat – du nom du patricien gallo-romain, qui, au début du Ve siècle, s’est fixé sur l’île de ­Lerina – n’accueille que quelques centaines de bienheureux.

A condition de rester corrects, « par respect pour les moines qui vivent sur l’île depuis seize siècles, merci de respecter le silence et une tenue décente (tee-shirt et short obligatoires) », ils pourront découvrir les criques de l’île, visiter aussi la ­partie ouverte de l’abbaye.

Sur l’île de Lérins. ABBAYE DE LERINS
Certains portails s’ornent de panonceaux décorés d’une silhouette de moine encapuchonné interdisant l’entrée aux touristes. Qui se consolent en déjeunant aux Tonnelles, le restaurant de l’île, avec les vins îliens. D’autres flacons y sont proposés, car l’abbaye ne vinifie qu’en rouge et en blanc et, au cœur de la saison estivale, nombreux sont les clients tentés par un rosé provençal.

Les vignes, plantées sur huit hectares – cinq en rouge et trois en blanc –, n’occupent qu’une partie des 37 hectares de l’île, propriété de l’abbaye, soit 1 500 m de long sur 400 au plus large. Un joyau posé sur les eaux claires de la Méditerranée, dont l’histoire est tourmentée. L’abbaye a régné, pour les bénédictins, sur l’est de la Provence, quand celle de Saint-Victor de Marseille veillait sur l’ouest.
Depuis l’installation de saint Honorat, avec la bénédiction de l’évêque de Fréjus, les troubles n’ont cessé : invasion des Sarrasins, des Génois, des Espagnols, Révolution française et, plus récemment, lors de la seconde guerre mondiale, débarquement des Italiens puis des ­Allemands. Sur l’île, tours et ­blockhaus le rappellent.
L’office dans les vignes

Si la vigne a quasiment toujours été présente, comme en témoignent des plans du XVIsiècle, la production viticole a connu heurs et malheurs : la qualité n’était pas au rendez-vous. « Dans la règle de saint Benoît, édictée au VIe siècle, il est dit que “le vin ne convient pas au moine”, mais il n’était pas toujours facile de l’en persuader. Alors, nous en buvons avec modération aux repas, deux verres maximum, et, bien sûr, lors des offices. En arrivant à l’abbaye, j’ai arrêté de boire du vin tellement il était mauvais. Voici vingt ans, nous avons décidé de faire un vin qui puisse se vendre », explique le père abbé Vladimir.
Au début des ­années 1990, les moines se sont attelés à produire un vin d’excellence, et la récolte 2017 sera la première certifiée en bio.

Vladimir Gaudrat, 61 ans, médecin de profession, a rejoint la vie monastique en 1982. Postulant puis novice, il est admis définitivement au bout de trois ans. Avant d’être élu père abbé en 1992, responsable aujourd’hui de vingt-deux moines et d’un novice. Dans les magnifiques mais sobres bâtiments de l’abbaye, une quinzaine de civils travaille aussi à l’hôtellerie, – près de 40 retraitants peuvent être accueillis – au restaurant et au magasin de vente. Et, bien sûr, à la vigne. L’abbaye propose aussi une huile d’olive de fort belle facture et une respectable collection de liqueurs.

Dans les vignes cernées par une végétation luxuriante, une multitude de cépages autorise des cuvées aux arômes bien différents : au grenache, syrah, cinsault, clairette des origines, les moines ont ajouté mourvèdre, pinot, chardonnay et, en 2017, du rolle. Frère Pierre-Marie est responsable des assemblages, frère Benoît des commandes. Quatre laïcs, salariés par l’abbaye, travaillent le vignoble et la cave. « Ici, c’est la tradition cistercienne, tous les frères doivent travailler, mais la vigne impose des rythmes qui ne sont pas toujours compatibles avec les impératifs religieux. Lors des vendanges, il faut modifier les horaires des prières, car la vigne n’attend pas et il fait trop chaud en milieu de journée. On célèbre l’office de 8 heures dans les vignes pour les moines au travail, avec une formule simplifiée », explique le père abbé. Le rythme des prières est en effet soutenu : du premier office, à 4 h 30, jusqu’au chapitre vers 20 heures.
Avisés conseillers
Compagnon de longue date, Samuel Bouton, 41 ans, formé à l’œnologie, s’occupe des vins et témoigne de la spécificité du domaine. « Saint-Honorat reste un monastère. En 2015, il fallait vendanger un 15 août. Mais la communauté a refusé, c’était l’Assomption et le lendemain était un dimanche. On a donc cueilli avec deux jours de retard et on avait pris 1,50 d’alcool », se souvient le truculent personnage.

Les vignes, plantées sur huit hectares – cinq en rouge et trois en blanc –, n’occupent qu’une partie des 37 hectares de l’île. KELAGOPIAN
Pour le reste, dans le cuvier interdit à toute visite, barriques et cuves permettent d’assembler des vendanges parcellaires. Pression pneumatique, filtration tangentielle, les techniques monacales ont bien évolué. Dans le verre, le résultat se fait sentir. Blancs et rouges de grande qualité invitent à la garde.

Le vignoble est aujourd’hui réputé – les cuvées « Saint-Salonius » (pinot noir) et « Saint-Césaire » (chardonnay) des moines ont été servies aux grands de ce monde, à l’occasion du G20, à Cannes, en novembre 2011 – et la mutation s’est faite grâce à d’avisés conseillers : Jean Lenoir (Bourguignon célèbre pour ses coffrets « Le Nez du vin ») et Patricia Ortelli, patronne du château La Calisse, magnifique domaine à Pontevès (Var) travaillé en bio. Mariée à un Cannois, elle connaît bien l’abbaye.
Quand elle s’est lancée à La Calisse, au début des années 1990, c’est bien naturellement qu’elle a aidé les moines à bonifier leur production. « Il fallait leur amener la technique, la prière ne suffit pas », sourit Patricia Ortelli. Quant à la qualité ? « On boit un petit peu de paradis ! »
Sélection des vins de l’abbaye de Lérins
Saint-Salonius (2013)
Un pinot noir aux reflets rubis et au goût complexe et structuré de fruits rouges, de cerise noire. (95 €)
Saint-Lambert (2012)
La star de l’île, multi récompensée de par le monde, un mourvèdre aux tanins somptueux et soyeux, aux arômes de fruits noirs, d’épices, de pruneau et même de cuir. (125 €)
Saint-Césaire (2015)
100 % chardonnay pour ce vin, glissé comme un canard dans une dégustation pour déterminer les 100 meilleurs vins de Bourgogne, et qui a glané la 4e place ! Une merveille de fleurs et d’agrumes, de fruits tropicaux aussi accompagnés de notes de vanille. (42 €)
Où les trouver
Abbaye de Lérins, île Saint-Honorat, Cannes. Tél. : 04-92-99-54-32. (Traversée en bateau : 0­4-92-98-71-38.) Abbayedelerins.com

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Par Rémi Barroux (Cannes – envoyé spécial)

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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