Eté reportage – A l’abbaye de Fontfroide, mille ans de vignoble cistercien

Vins de messe (3/6). Nichée dans les contreforts des Corbières, l’ancienne abbaye n’a retrouvé une nouvelle jeunesse que depuis quinze ans.
LE MONDE | 09.08.2017

L’abbaye de Fontfroide a été érigée entre le XIe et le XVIIe siècle. NICOLA CHEVRON VILETTE
Dans le chœur de l’église, les bouquets de fleurs jonchent encore le sol. Au petit matin du 1er juillet, l’abbaye de Fontfroide (Aude) a perdu l’un de ses meilleurs soutiens, Nicolas de Chevron Villette, copropriétaire et responsable du domaine viticole de l’abbaye, décédé à 58 ans. C’est lui, avec son épouse Laure d’Andoque, qui était l’artisan du renouveau des vins de Fontfroide. L’abbaye fait prospérer la vigne depuis un millénaire, mais son nom n’apparaît sur les étiquettes que depuis quinze ans.

A Fontfroide, les yeux brillent, sans besoin d’ivresse : la beauté des lieux et des pierres suffisent. Dans les contreforts des Corbières, au sud-ouest de Narbonne, dans l’Aude, voici l’abbaye, qui attend paisiblement le pèlerin entre les ruines cathares et la garrigue.
Splendeur, déclin et renaissance
Chaque année, 120 000 touristes visitent l’édifice, érigé entre le XIe et le XVIIe siècle, du réfectoire des convers à la roseraie, en passant par le cloître, l’église abbatiale, les dortoirs, les jardins en terrasses : il faut bien deux heures, auxquelles s’ajoutent les sentiers jusqu’à la croix qui surplombe la colline. Avec une halte au restaurant et bien sûr au caveau, ancien chai de l’abbaye, qui propose dégustation et vente de vins.

C’est l’une des plus belles abbayes cisterciennes d’Europe, qui a connu splendeur, déclin et renaissance. Fondée en 1093, elle s’affilie à l’ordre de Cîteaux cinquante ans plus tard, et applique strictement la règle de saint Benoît : les religieux peuvent boire une hémine de vin par jour, l’équivalent d’un demi-litre. Bien sûr, il faut de la vigne et du raisin. Les moines ne pouvant pas quitter l’enceinte, ils font appel aux frères convers pour le vignoble. Au plus fort de son activité, au XIIIe siècle, l’abbaye en accueille jusqu’à 250 pour gérer les terres de leurs 25 granges.
La plus proche est la bâtisse Saint-Julien de Septime. C’est là qu’est vinifiée l’actuelle production du domaine, 39 hectares d’un seul tenant, « sur les anciennes terres viticoles des moines, comme en témoignent les murets d’époque », explique Sébastien Vincent, le responsable commercial. Laissées à l’abandon après le départ des moines en 1901, les vignes périclitent et ne sont restaurées qu’à partir de 1986. Mais elles n’appartiennent plus à l’abbaye.
Il faut attendre 1996 pour que le père de Laure d’Andoque rachète les terres et reconstitue le patrimoine viticole. Quelques années encore pour que le vin, vendu en vrac au négoce ou sous le nom de Saint-Julien de Septime, ne récupère le nom de l’abbaye.
Lifting artistique
Pendant que les vignes dépérissent, l’abbaye rencontre son sauveur : Gustave Fayet. Avec son épouse Madeleine d’Andoque – ancêtre de l’actuelle gérante –, le conservateur du musée de Béziers achète l’abbaye en 1908 et entreprend sa rénovation. Et quelle rénovation ! Epris d’art, il accueille en résidence plusieurs artistes : des musiciens, Odilon Redon, dont quelques toiles subsistent dans la bibliothèque, ou Richard Burgsthal, qui réalise des vitraux étincelants pour l’abbatiale du XIIe siècle.
Cet esprit perdure : la chapelle est illuminée depuis 2009 par trois vitraux aux couleurs détonnantes de l’artiste coréen Kim En Joong. Et dans la salle du chapître, un visage féminin en bronze patiné du sculpteur catalan Jaume Plensa invite à la méditation. Quant à la musique, la semaine de concert animée par le violoncelliste Jordi Savall en juillet affichait complet un an à l’avance.
La famille de Gustave Fayet avait fait fortune dans le négoce de vins, mais lui ne se préoccupe pas des vignes qui entourent l’abbaye. Le vin de Fontfroide avait pourtant une petite renommée. Au début du XIVe siècle, Jacques Fournier, l’ancien père-abbé, devient le pape Benoît XII. Il fait venir le vin doux de l’abbaye – muté à l’alcool – pour le servir au palais d’Avignon. Même après l’abandon de l’abbaye à la Révolution, la réputation de son vin demeure et, au XIXe siècle, la nouvelle communauté religieuse vend la production de la grange de Saint-Julien de Septime partout en France.

A Fontfroid, cinq cuvées sont des blancs deux autres sont des rosés. Et les es rouges sont encore plus nombreux. NICOLA CHEVRON VILETTE
« Le terroir de Fontfroide est remarquable, note avec fierté son responsable commercial. Son sol argilo-sableux donne de la finesse et sa situation au creux d’un vallon apporte beaucoup de fraîcheur aux vins. Fait très rare dans les Corbières, c’est même un terroir à vin blanc ! » – la source qui jaillit de ce fond de vallon est d’ailleurs si froide qu’on l’a baptisé Fontfroide.
Bermudas et grandes tables
De fait, cinq cuvées sont des blancs. Les rouges sont encore plus nombreux, l’ensemble est complété par deux rosés et un effervescent. « Nous pouvons ainsi répondre à tous les consommateurs », relève le sommelier Philippe Badouaille. Arrivé à Fontfroide en 2002, il a assisté à la création des différentes cuvées : « Nous sommes partis d’une page blanche et nous avons étoffé la gamme, selon les retours de la clientèle».
Cette gamme si variée et si récente n’a été possible que grâce à une chaîne d’embouteillage acquise en 2000 et qui fait la fierté de Loïc Delbourg, qui seconde son père au chai depuis 2006. « En 2004, 14 000 bouteilles sortaient du chai. Aujourd’hui le domaine en fait 100 000. » Soit 60 % de la production de Fontfroide. Le reste part encore en vrac au négoce. « Cela fait partie de nos futurs défis, reprend le maître de chai. Trouver la bonne recette pour chaque cuvée et augmenter la part de vin mise en bouteille. » La chaîne permet aussi de conquérir de nouveaux marchés et le domaine commence à exporter, jusqu’aux Caraïbes et en Chine.
En France aussi Fontfroide gagne du terrain. « Les clients sont friands des vins d’abbaye. C’est un gage de qualité, d’implantation historique… et puis la nôtre est si connue ! » Laure d’Andoque et son époux ont réussi à adapter leurs vins à une large clientèle, du touriste en bermuda aux grandes tables, comme en atteste la présence de leurs « Deo Gratias » chez le triplement étoilé Gilles Goujon.
Les vins de l’abbaye de Fontfroide
Abbaye Fontfroide, « Ocellus Blanc », corbières (2016)
Un vin lumineux, frais salivant. Constitué de marsanne, rolle et grenache blanc, il offre des arômes de fruits jaunes et blancs croquants ainsi qu’une bouche délicate et étirée (8,40 €)
Abbaye Fontfroide, « Laudamus Rouge », corbières (2016)
Avec sa trame tannique, ce vin à dominante de mourvèdre affiche un caractère rustique ou souriant. Au nez, épices et cerises mènent la danse. (11 €)
Abbaye Fontfroide, « Deo Gratias Rouge », corbières (2014)
Pour se regonfler, il a besoin d’une longue aération et exhale alors des arômes de cassis, de cacao, de moka et de garrigue. (16,50 €)
Où en trouver…
Abbaye de Fontfroide,
RD 613, 11100 Narbonne
Tél. : 04-68-45-50-72.
fontfroide.com
Horaires : 10 à 13 heures et de 14 à 18 h 30.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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