Maltraitances animales – Le calvaire des animaux d’élevage transportés en mer

Des millions de bêtes sont exportées vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient dans des « conditions effroyables », selon l’enquête de deux ONG.
LE MONDE | 17.08.2017 | Par Audrey Garric

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On connaissait déjà le calvaire des animaux d’élevage convoyés par camions sur de longues distances. Des veaux ou des vaches affamés et assoiffés, entassés dans des espaces confinés et surchauffés sur des milliers de kilomètres. Cette fois, l’ONG Compassion in World Farming (CIWF) dévoile, jeudi 17 août, des images inédites d’un autre type d’acheminement aux conditions tout aussi « effroyables », selon ses termes : le transport de millions de bêtes par voie maritime depuis l’Europe vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, où elles seront soit engraissées, soient consommées. Une nouvelle illustration de maltraitances animales encore méconnues du grand public, qui ont lieu au mépris de la réglementation.
Cette enquête, à laquelle Le Monde a eu accès en exclusivité, a été réalisée par deux associations allemande et suisse, Animal Welfare Foundation et Tierschutzbund Zürich, entre juillet 2014 et janvier 2017. Leurs militants ont embarqué sur neuf navires bétaillers, dont quatre agréés par la France, avant ou pendant le chargement de bovins et d’ovins, et ont suivi le voyage de l’un de ces bateaux entre l’Europe et l’Egypte. Les temps de trajet s’échelonnent généralement entre cinq et huit jours, parfois quinze.
Animaux morts jetés à la mer
Les images – tournées à découvert et non pas en caméra cachée – révèlent de « nombreux risques pour la sécurité et le bien-être des animaux », selon les ONG : rampes de chargement et de déchargement trop pentues (jusqu’à 30°), angles droits peu praticables voire dangereux ; ventilation, éclairage et systèmes d’abreuvement défaillants ou absents ; litière insuffisante, hygiène déficiente et enclos surchargés.
Les bêtes ne peuvent pas toujours tenir leur tête droite ou se coucher faute de place dans les stalles. Les animaux, déjà affaiblis par les longs trajets en camion, se blessent facilement. Les maladies respiratoires, liées à la densité, au taux d’ammoniac élevé, aux fortes chaleurs et à l’humidité, sont fréquentes. Certains meurent pendant le trajet. Ils sont alors jetés par-dessus bord après avoir été éventrés pour qu’ils sombrent plus vite. Leurs boucles d’identification sont arrachées afin qu’ils ne puissent pas être reconnus s’ils échouaient sur les côtes.
Les rampes d’accès aux bateaux sont parfois trop inclinées (30 °). ANIMAL WELFARE FOUNDATION
« Il n’y a aucun responsable sur les bateaux pour évaluer le bien-être des animaux et aucun journal de bord ne rapporte les décès, les naissances ou les blessures », regrettent les associations. Elles estiment, par extrapolation, que 24 000 animaux seraient morts lors de transports maritimes entre 2013 et 2016.
Législations non appliquées
Toutes ces non-conformités poussent les ONG à affirmer que ces bateaux n’auraient « jamais dû être autorisés à transporter du bétail ». Ce sont « des car-ferries et des cargos transformés en navires bétaillers », d’une moyenne d’âge de 35 ans, qui ne sont « pas adaptés » et s’avèrent « mal entretenus ». Ils violent le règlement européen de 2005 relatif à la protection des animaux pendant le transport : celui-ci pose comme principe que « nul ne transporte ou ne fait transporter des animaux dans des conditions telles qu’ils risquent d’être blessés ou de subir des souffrances inutiles ».
Selon cette enquête, plus de la moitié des bateaux agréés par les Etats européens naviguent sous des pavillons de pays classés sur la « liste noire » du Memorandum de Paris, désignant des législations peu contraignantes ou non appliquées. « Pourtant, ni la Commission européenne ni les Etats membres n’interviennent. A partir du moment où ces animaux ne finissent pas dans nos assiettes, leur sort ne nous intéresse pas », dénonce Agathe Gignoux, chargée des affaires publiques à CIWF France.

Près de trois millions d’animaux sont exportés chaque année d’Europe vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient dans des « conditions effroyables ». ANIMAL WELFARE FOUNDATION
Une situation que récuse Christian Berthet, à la tête d’une entreprise de commerce de bétail, la SAS Berthet. Chaque mois, sa société affrète un ou deux bateaux depuis Sète (Hérault), essentiellement vers l’Algérie, la Tunisie ou le Liban, et fait embarquer 35 000 bovins par an. « Les animaux, pesés aux ports de départ et d’arrivée, ne doivent pas perdre plus de 3 % de leur poids durant le trajet. Nous avons un accompagnateur qui doit s’assurer que l’équipage nourrit et abreuve bien les bêtes », avance-t-il, tout en reconnaissant que cette pratique est « rare » dans le milieu. Il en est convaincu, « les animaux voyagent mieux par bateau que par camion, notamment car ils ont plus de place ».
Commerce favorisé
Entre 2013 et 2016, 9,8 millions d’ovins et de bovins ont traversé la Méditerranée depuis l’Union européenne (UE) vers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, soit près de 3 millions par an. Les animaux partent principalement de Sète, Tarragone et Carthagène (Espagne), Midia (Roumanie) ou Rasa (Croatie) pour rejoindre la Turquie, le Liban, Israël, le Maroc, l’Algérie, la Libye et l’Egypte.
« Ces pays, qui ne produisent pas assez d’animaux pour répondre à leur demande intérieure, importent de plus en plus d’Europe des reproducteurs et des broutards [jeunes veaux mâles sevrés] destinés à l’engraissement puis à l’abattage, explique Agathe Gignoux. Les Etats européens favorisent ces échanges, en raison d’une forte tendance à la surproduction et une pression de l’industrie à trouver toujours plus de nouveaux marchés hors Europe. »
Au premier semestre, la France était le troisième exportateur européen de bovins en dehors de l’UE, après la Roumanie et l’Espagne. Si elle a dû temporairement cesser, en janvier, ses exportations vers son principal marché, la Turquie pour des raisons sanitaires, elle a compensé en partie par l’envoi d’animaux vers l’Algérie, le Maroc, la Libye en 2016 et vers Israël, l’Egypte ou le Sénégal cette année.
Un commerce que le précédent gouvernement a favorisé. Le plan de soutien à l’élevage français mis au point par l’ancien ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, en juillet 2015 prévoyait par exemple une augmentation de 10 millions d’euros des fonds consacrés à la promotion des exportations d’animaux vivants, et la création de la plate-forme « France viande export » pour faciliter les partenariats économiques avec les pays importateurs.

Pour l’arrêt des transports longue distance
« Etant donné que les règles minimales de bien-être animal ne sont pas respectées, nous demandons l’arrêt des transports longue distance hors de l’UE, par voies terrestre et maritime, et une limite à huit heures au sein de l’UE, poursuit Agathe Gignoux. Il s’agit de restructurer la filière française pour engraisser les bovins chez nous afin d’exporter de la viande plutôt que des animaux vivants. »
Parmi les infractions à la réglementation, les ONG ont notamment relevé des ventilations, éclairages et systèmes d’abreuvement défaillants ou absents, et des litières insuffisantes. ANIMAL WELFARE FOUNDATION
Le CIWF, qui lance une pétition sur cette campagne, a adressé une lettre au ministre de l’agriculture, Stéphane Travert, lui demandant « une meilleure application de la réglementation » et la mise en place de « dispositions strictes spécifiques au transport maritime ». Elle l’appelle également à soutenir l’initiative de six Etats membres (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Pays-Bas et Suède) en faveur d’une révision du règlement européen de 2005, jugé « insuffisant ».
L’ONG défend en outre l’instauration de plusieurs mesures : des systèmes de contrôle et la présence d’un vétérinaire ou d’un responsable de la protection animale pendant toute la durée du transport en mer, une autorité unique d’experts pour l’agrément des navires ou encore des plans pour les situations d’urgence (pannes, conditions météorologiques difficiles, animaux malades ou blessés, etc.). Le 13 septembre, se tiendra la deuxième journée mondiale de mobilisation contre le transport d’animaux vivants, avec comme mot d’ordre : « Des animaux, pas des marchandises ! »

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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