Depuis 2010, la maison centrale de Poissy, dans les Yvelines expérimente la justice restaurative. Inscrit dans la loi Taubira de 2014, ce programme s’apprête à voir le jour dans plusieurs établissements pénitentiaires.
Le Monde |06.09.2017 | Par Feriel Alouti
Tout est parti d’une démarche personnelle. En 2009, François Goetz, alors directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) des Yvelines, part au Québec découvrir avec la fédération nationale d’aide aux victimes et de médiation (Inavem) les rencontres détenus-victimes (RDV), une mesure de justice restaurative jusqu’alors inconnue en France.
Elle consiste à organiser plusieurs rencontres entre des détenus et des victimes ou proches de victime afin que chacun puisse expliquer ce qu’il a vécu. Alors que les auteurs abordent leur passage à l’acte et ce qui s’en est suivi, les victimes développent les conséquences de l’agression ou de la perte d’un proche sur leur vie.
En 2010, les RDV sont expérimentées dans l’Hexagone, au sein de la maison centrale de Poissy. Deux autres cessions suivront en 2014 et 2016. « Dans notre système pénal, il y a une justice qui condamne et une justice qui protège, elles sont séparées et dissociées », rappelle Isabelle Lorentz, adjointe au directeur de la maison centrale en charge du programme. Grâce à cette mesure, détenus et victimes peuvent, pour la première fois, discuter librement.
Les détenus, volontaires, sont sélectionnés au sein d’un comité de pilotage lors duquel les représentants de l’établissement pénitentiaire et des membres du SPIP étudient notamment « la capacité de l’auteur à être en groupe et à supporter ce qui lui est renvoyé », explique Mme Lorentz. A l’extérieur, c’est à l’Inavem que revient le rôle de choisir les victimes ou proches de victime intéressées. Un processus qui nécessite, en moyenne, six mois de préparation.
Des échanges confidentiels
Jusqu’à présent, seuls dix détenus et dix victimes ont pu bénéficier de ce programme. Un nombre réduit qui s’explique notamment par la difficulté de trouver des victimes volontaires. « Les plus frileux étaient les associations, elles nous ont dit qu’on voulait jouer aux apprentis sorciers, que ça allait détruire les victimes. Sauf que la rencontre peut aussi la réparer, et prépare l’auteur à revenir dans la société civile », insiste Bathilde Groh, directrice adjointe du SPIP des Yvelines.
Les rencontres comprennent six rendez-vous, dont cinq hebdomadaires. La sixième et dernière rencontre a lieu deux mois plus tard. Chaque séance est encadrée par deux animateurs bénévoles ou professionnels. Deux représentants de la société civile tels que des visiteurs de prison sont également présents. Quant au contenu des échanges, il est confidentiel et ne donne donc lieu à aucun compte rendu.
Aujourd’hui, du fait de la réforme pénale de 2014 qui inscrit dans la loi le recours à une mesure de justice restaurative pour l’auteur d’une infraction et pour la victime, et de la circulaire d’application, publiée en mars 2017, plusieurs établissements préparent la mise en place de telles rencontres. Un plan de formation des animateurs à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) est, par ailleurs, en cours de réalisation.
A Poissy, détenus et victimes se rencontrent : « Comment peut-on tuer un autre humain ? »
L’établissement pénitentiaire expérimente depuis 2010 des cercles de discussion qui réunissent des auteurs de crime et des victimes ou des proches de victimes.
Le Monde |06.09.2017 | Par Feriel Alouti
Alain Ghiloni a beau réfléchir, il n’a pas « le souvenir d’une explication ». Etait-ce pour « son baladeur, de l’argent ou autre chose » que son fils, Fabien, est mort à 20 ans d’une balle dans la tête alors qu’il s’apprêtait à rejoindre sa résidence universitaire pour le dîner ? Vingt-deux ans après les faits, malgré la reconstitution et le procès aux assises, toujours pas de réponse. Mais une question qui a longtemps taraudé cet éducateur à la retraite : « Comment peut-on tuer un autre humain ? »
Pour tenter de « comprendre » et « expliquer » ce qu’il a vécu, il a décidé, il y a trois ans, de « faire face à l’inimaginable ». Ecouter, observer et débattre pendant plusieurs heures avec trois détenus, tous condamnés pour homicide. Au total, il a participé à six rendez-vous planifiés dans le cadre des rencontres détenus-victimes (RDV), une mesure de justice restaurative expérimentée depuis 2010 à la maison centrale de Poissy (Yvelines), et bientôt dupliquée dans d’autres établissements pénitentiaires.
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La première fois, la découverte fut « totale » et l’« inquiétude » gravée sur les visages, se remémore Alain Ghiloni, silhouette de sportif assidu et yeux bleus translucides. Ce jour-là, avec deux autres personnes – l’une victime d’un viol, l’autre ayant été gravement blessée après avoir été poussée dans un escalier –, il a pris place dans un espace spécialement aménagé à côté des parloirs. Alors qu’il pense voir arriver des « montagnes », Alain Ghiloni se souvient d’avoir été frappé par l’aspect du premier détenu, un « homme qui se déplaçait avec une canne ».
« On savait que ces hommes avaient tué, mais on ignorait tout du pourquoi et du comment. C’est tout aussi bien, car cela évite les préjugés. On voulait essayer de comprendre sans excuser. »
Prendre « une forme humaine »
En 2010, lors de la toute première rencontre organisée par la maison centrale de Poissy, Claude (le prénom a été modifié), 53 ans, ne s’attendait pas à voir « apparaître une telle douleur sur un visage ». Quand les proches des victimes ont pénétré dans la pièce, tous les détenus se sont levés en tendant leur main, sauf lui qui a préféré rester en retrait. « J’étais trop tétanisé. Un peu comme si le ciel me tombait sur la tête. » Puis il a fini par prendre la parole, et ainsi, pense-t-il, « une forme humaine ».
Après seize ans de détention, il n’imaginait pas « avoir l’opportunité de “se racheter” », reconnaît-il dans une pièce sans charme de la maison centrale où sont actuellement détenues 223 personnes, dont 85 % pour crime de sang.
« Pouvoir identifier le mal qu’on a pu commettre et se mettre à la place de ceux qui souffrent. Avoir un jugement sur ce qu’on a fait mais se dire aussi qu’on n’est pas qu’une personne criminelle. Les aider [aussi] en leur donnant une réponse », énumère Claude, comme s’il avait décortiqué et pesé chaque mot de son discours.
Les victimes, elles, « posent pas mal de questions, dit-il d’une voix douce. Elles cherchent à comprendre pourquoi on a fait ce que d’autres ne font pas ». Le passage à l’acte, si difficile à comprendre et concevoir pour le commun des mortels, fut « la question centrale » de ce face-à-face qui s’est peu à peu transformé en échange. « Il faut expurger, c’est pas évident. C’est de l’ordre du performatif. Dire, c’est être. C’est difficile, mais positif », jette-t-il en vrac.
Raconter ce qu’il avait été incapable de dire au procès
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