Malgré l’interdiction par la loi, Carrefour va commercialiser des fruits et légumes issus de semences paysannes

Novethic – 20/09/2017 – Marina Fabre –
C’est une grande première dans la grande distribution. Carrefour va commercialiser, à partir d’aujourd’hui, des fruits et légumes issus de semences paysannes. Des graines interdites à la vente contrairement aux semences hybrides de géants de l’agrochimie comme Monsanto. Une initiative, soutenue par des associations environnementales, qui a pour objectif de changer la loi.
Carrefour va vendre des fruits et légumes issus de semences paysannes, pourtant interdites à la commercialisation.
Carrefour annonce le lancement d’une nouvelle offre dite « interdite » selon le marketing du groupe. Dès le mercredi 20 septembre, une quarantaine de magasins franciliens et bretons vont proposer 50 tonnes de fruits et légumes issus de semences paysannes. Des graines de plus en plus rares tant les semences hybrides (sélectionnées, croisées et standardisées), parfois bio, des géants de l’agrochimie, exercent un monopole.
Et pour cause : la loi interdit la commercialisation des semences paysannes, car elles ne sont pas soumises aux taxes pour la recherche en agrochimie. « Ce qui empêche les producteurs de les cultiver librement et les consommateurs d’y goûter », explique Carrefour. 2,1 millions de variétés de semences paysannes sont mises sur le carreau, estime le groupe. Pire : au cours du XXe siècle, 90% des variétés cultivables ont ainsi disparu. Une hécatombe.
Un contrat de 5 ans et une rémunération juste
« Quand Carrefour est venu nous voir, on était très méfiant, on pensait surtout qu’il voulait faire un coup de communication », explique René Léa, agriculteur bio breton, président de Kaol Kozh, association pour la préservation de la biodiversité. « Nous leur avons expliqué qu’on voulait un contrat sur le long terme et bien rémunéré car cultiver des semences paysannes coûte plus cher. Ils ont accepté toutes nos conditions ! », se félicite René Léa.
Avec ce partenariat, Carrefour crée ainsi une filière sécurisée pour 5 ans avec une rémunération juste pour le producteur. Pour l’instant, le partenariat se limite à deux groupes d’agriculteurs bretons mais René Léa et ses confrères sont chargés de le généraliser.
Une démarche qui s’inscrit « dans la continuité des engagements historiques de l’enseigne en faveur de la qualité alimentaire et de la biodiversité », insiste Carrefour qui rappelle avoir été le premier distributeur à développer une offre en bio en 1992 et à supprimer les OGM en 1999.
Une lutte contre les fruits et légumes standardisés et dépendants des pesticides
Au-delà de l’image du groupe, l’enjeu est aussi de sensibiliser l’opinion publique. « Qui est au courant que 80 % des fruits et légumes vendus proviennent de semences issues de l’agrochimie ? », s’interroge la directrice de la Fondation Carrefour, Sophie Fourchy-Spiesser. « On espère créer le buzz. Carrefour devrait normalement distribuer des semences paysannes, une activité totalement interdite par la loi », témoigne René Léa.
Le groupe veut ainsi provoquer une prise de conscience notamment via le lancement d’une pétition en ligne, un bon levier pour changer la loi. Et à lire le texte, adressé entre autres à Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, on pourrait presque croire à un manifeste associatif.
« Les fruits et légumes issus de semences bio nous apportent une alimentation riche en nutriments et en goût, mais l’agriculture intensive et la consommation de masse ont fait la part belle aux variétés qui assurent un meilleur rendement, qui sont plus résistantes aux transports et dépendantes des pesticides. Ainsi des fruits et légumes toujours plus standardisés ont pris le pas sur toutes les autres variétés », indique la pétition.
Un lobbying pour changer la loi
Certaines associations pointent la schizophrénie de ce groupe, qui a, comme d’autres de la grande distribution, participé à la standardisation des fruits et légumes. Mais malgré cette contradiction, elles sont plusieurs comme la Fondation pour la Nature et l’Homme (ex Fondation Nicolas Hulot) et Fermes d’Avenir à soutenir et saluer ce projet inédit.
Tous mènent un combat commun : forcer le catalogue officiel à assouplir ses critères de sélection pour que les semences paysannes puissent être vendues légalement et à grande ampleur. « C’est une question de préservation de la biodiversité mais aussi de sécurité alimentaire », alerte Philippe Bernard, directeur PME et Monde Agricole chez Carrefour. « Avec le changement climatique, un panel de variétés pourrait disparaître ».
L’initiative de Carrefour intervient en plein pendant les ateliers des États généraux de l’Alimentation. Entre autres ambitions, on y compte la volonté de repenser le modèle agricole productiviste ou la plus juste rémunération des producteurs par les distributeurs. Ce sont des solutions qui doivent être offertes à un secteur en crise. « Je le reconnais, l’équation est assez complexe (…) la lucidité n’empêche pas l’optimisme ! », assurait Édouard Philippe lors du lancement des États généraux.

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