Vive la « société des miles »

Charlie Hebdo – 27/09/2017 – Guillaume Erner –
L’égalité, c’est terminé. Pourquoi ne militerait-on pas en faveur d’un accroissement rapide de la richesse des uns au détriment de autres ? Puisque tout le monde en a assez de l’État-providence, inspirons-nous des compagnies aériennes pour construire la société de demain. 
« Et les cinq euros en moins sur mes APL ? » « Et la hausse de la CSG pour les petites retraites ? » Ceux qui prononcent ces phrases se rendent-iles compte de leur caractère mesquin ? A-t-on entendu un Neymar réclamer des APL ? Car l’avenir, à n’en point douter, c’est ceci : la coexistence d’une multitude de gagne-petit avec une poignée de superstars. C’est cela la société de demain, un sablier doté d’une base de plus en plus large. Autrement dit, une classe moyenne appauvrie cédant la place à une bonne base prolétaire dominée par une classe d’hyper riche.
S’il faut donner un nom à cette société, je propose qu’on la baptise « société des miles ». Les miles, vous connaissez, surtout s’il vous arrive de prendre l’avion. Sous ce terme se cache l’unité de base des programmes de fidélité des compagnies d’aviation. Avec un principe simple : plus vous dépensez auprès d’une compagnie aérienne, plus elle vous récompense. Un vrai bon système en sablier. Imaginez un peu. Vous êtes un petit voyageur, vous prenez rarement l’avion, toujours en classe éco. Dans ces conditions, vous accumulez l’équivalent de trois clopinettes en miles. Pour gagner l’équivalent d’un Paris-Maubeuge en Airbus, il vous faudra, au train où vont vos voyages en avion, vingt-trois siècles. En somme, vous aurez un accident avant de bénéficier d’un billet gratuit. 
Autre cas de figure. Vous êtes un super riche, super voyageur, super contributeur. Non seulement vous vivez dans les avions, mais en outre, vous ne voyagez qu’en première. Dans ces conditions, chaque vol vous rapporte pratiquement un voyage gratuit. Si vous deviez écouler tous les miles accumulés, vous ne toucheriez plus jamais terre et passeriez votre vie dans les airs. En substance, le système des miles est à la fois absurde et inégalitaire. Il permet d’offrir des billets d’avion à ceux qui n’en ont pas besoin. Un peu comme si l’on réservait les APL à ceux qui vivent dans les hôtels particuliers. La société des miles, c’est en quelque sorte offrir plus à ceux qui ont déjà tout. Voilà en résumé ce qui est en train de se dérouler. Vous trouvez le cas de Neymar marginal ? Vous avez tort, il est au cœur de la mutation en cours. Les chiffres, vous les connaissez : un transfert à plus de 200 millions d’euros, des revenus nets de 30 millions par an. L’important, ce ne sont pas tellement ces sommes, mais leur progression. Il y a quelques années, les transferts de joueurs représentaient 10 % de ce montant, tout comme les salaires versés aux super champions. Et puis, d’année en année, les records ont été battus. Dans le même temps, le salaire des salariés n’a pas subi une inflation semblable; on peut même dire que le pouvoir d’achat a stagné. C’est cela la société des miles, un accroissement vertigineux du revenu d’une minorité d’individus tandis que la majorité, elle, regarde passer les avions. 
Un exemple de cette société des miles : le crédit. Bien souvent, si vous demandez un crédit, c’est qu’il vous manque de l’argent. Eh bien ! plus il vous en manque – plus vous êtes pauvre, en d’autres termes -, plus le taux d’intérêt qu’on va vous demander sera élevé. Cela a été révélé il y a quelque temps pat Les Echos : le taux d’intérêt d’un emprunt varie du simple au double selon que vous êtes fortuné ou pas. Un jeune célibataire va payer deux fois plus son crédit immobilier qu’un vieux riche. Ce taux d’intérêt rémunère-t-il un risque plus élevé ? Pas nécessairement : un fonctionnaire au salaire modeste n’est pas un emprunteur plus dangereux qu’un boursicoteur aux revenus importants.
En économie, on a donné un nom à ce phénomène : l’effet Matthieu. Pourquoi Matthieu ? Parce que, dans l’évangile selon ce Matthieu, il est dit : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. » Quelle meilleure manière de résumer la société des miles ? A l’origine, ce mécanisme s’observait pour quelques marchés restreints, celui des stars ou bien encore celui des sportifs. Mais il ne tient qu’à nous de l’élargir désormais à la société toute entière. Donner à quelqu’un qui à tout, c’est gratifiant comme être le médecin d’une personne en bonne santé. Une manière de dire : si vous avez déjà tout, n’hésitez pas à me demander le reste.
Aux vieux les poches pleines : Champagne dans les Ehpad ! Les retraites vont augmenter de 0,8 % l’an prochain. Ce qui fait 8 euros  de plus pour une retraite de 1 000 euros, de quoi se payer…euh, rien du tout, en fait.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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