Bartabas ( suite ) – « Ex anima », un air de liberté et de rêve éveillé sur la piste

Dans son dernier – ultime ? – spectacle, Bartabas rend à ses chevaux leur liberté sur la piste : un pari fou et réussi.
  LE MONDE | 20.10.2017 | Par Francis Marmande

Ex Anima : « du fond des grands souffles », souffle Bartabas. Rendant aux chevaux, sans mors ni badine, sans dieu ni maître, leur naturel au galop ? Vraiment ? Quarante chevaux rendus à leur liberté en piste pour bons et loyaux ­services rendus à Zingaro ? Et d’un même galop, allez hop, à l’humanité ? Pari tenu ? La chose devrait alimenter une controverse de Valladolid, saison 2. Dans les ­termes définis par Bartabas, oui, pari tenu. Au risque de tous les risques.
Chaque détail étant soigné à l’extrême, n’en ratez aucun. Rien du temps incompressible qu’il faut pour accéder en ­Zingarie. Rien de l’affiche inspirée de Hans Baldung qui ponctue l’avenue ­Jean-Jaurès, à Aubervilliers : chevaux ­ensauvagés, mordeurs, tendres ou menaçants. Ce soir, ils savent ce qu’ils ont à faire, mais ne le feront que selon leur bon plaisir. Demain, ils feront autre chose, prendront plus de temps. Voire, moins. C’est le risque. Un gong venu de la nuit des temps résonne. Bougies autour de la piste plongée dans l’ombre. Magie du grand noir. Monte alors un raffut de nuit tropicale ou bien, va savoir, la symphonie du big band. Silence. Et là, plus bas, par rayon ­rasant de lune, l’apparition.
Ce sont les criollos argentins. Se laissent deviner. Dans leur brume de petit matin. Ils sont combien ? Disparaissent dans le noir. Ressuscitent d’un rai. Surgit cette tête blanche à parements noirs. Une autre bâille ou souffle. On entend le souffle des chevaux. On retient le sien. Entrée des flûtes, musique dûment installée tout en haut – hulusi (Chine), tin whistles (Irlande), bansuri (Inde du Nord), nokan (Japon)… Souffle des planètes qui ­dansent. Les animaux se détendent. Et dans la foulée, chutent au ralenti avec grâce, se roulent de volupté.

Peur et joie mêlées
Soudain en trombe, Majestic, le pur-sang arabe à queue dressée. Brusque ­arrêt. Il me regarde fixement. Silence ­sacré. Tout aussi immaculé, Noureev le rejoint. Et là, que je te mordille la nuque, que je rue pour rire, que je te renifle ­partout, gouffre des grands ­secrets, ça n’a pas l’air de déplaire, c’est parti mon coco, les voilà lancés, à bride abattue, sans bride, dans un délire ­parallèle. Nous, on est embarqués.
De ce rêve éveillé le plus charnel, saillie comprise, on ne racontera pas les séquences. Lesquelles se vivent enlacées plus qu’elles ne se voient. Il faudrait être cheval critique pour ça. On est tension, angoisse, joie de vivre, partie prenante de cette liberté mise en scène. On a peur pour eux. Peur qu’ils s’ennuient. Peur qu’Arruza n’escalade pas la lourde poutre qu’a tractée pour lui Tsigane, le boulonnais. Peur que Van Gogh – puisqu’il lui manque l’oreille gauche – ne joue pas sa partie. Ou bien, la joue trop fort avec les quatre ombres qui courent à ses trousses. Peur du tableau saisissant d’un champ de bataille, chevaux les quatre fers en l’air, que parcourent deux loups affamés.
Peur et joie, aussi, du piaffer (le galop sur place) de Zurbaran. Joie des jeux de course, de brume et de lumière. Des improvisations de flûtes selon la fantaisie des bêtes. Joie du retour de Calacas au « paso fino » trottiné menu qu’il transmet aux cinq ombres cocasses qui l’emboîtent. Un seul n’inspire aucune crainte, en tout dernier tableau, c’est Lucifer, dit Rocco. Pas plus qu’Angelo aux grosses chaussettes blanches. Il attend gentiment les sept colombes qui viennent se poser pour lui faire une crête animée. Plus tard, il s’envolera, bien sanglé, après expiration d’une longue flatulence.
Et la mule et l’âne qui se sont connus à Zingaro ? Ils ne se quittent plus. Le petit cherchant à grimper la grande à tout propos, ça le travaille, il sait que c’est impossible, mais après tout, pas beaucoup plus que le reste de la cérémonie des grands souffles. Alors, pourquoi ne pas tenter.
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A la minute plus ou moins 42, entre en piste Coco, l’oie blanche qui tire en se dandinant la carriole où se pavane un coq aux airs de « riverain ». Un soir (la première !), Coco a raté sa poursuite lumière, à moins que ce ne soit l’inverse. Eh bien, Coco a effectué son tour de piste dans le noir. Bravement. Cependant que du fond des manèges, oratorio, montait en sourdine une des saintes colères de Bartabas qui ne supporte que la perfection. Dont les colères ne visent jamais l’animal. Alors ? Ultime création ? Voire… Trop de souffle, d’haleine, d’âme, en Zingarie.

Lire sur Inventerre : Culture / Bartabas – Spectacle : «  Ex Anima », de Bartabas à Aubervilliers – EntretienPublié le 29 octobre 2017 par kozett

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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