Politique française – Droites irréconciliables

Dans sa chronique, Gérard Courtois, éditorialiste au « Monde », revient sur les deux avertissements cinglants reçu par Laurent Wauquiez, à un mois du congrès des Républicains qui doit désigner leur futur président.

« Le fossé s’élargit chaque jour davantage entre deux droites irréconciliables »

Le Monde | 14.11.2017
Longtemps, les droites françaises ont su marier leurs différences. Entre gaullistes et centristes, entre conservateurs et réformateurs, entre légitimistes, bonapartistes et orléanistes, l’union a toujours été un combat, et souvent des plus rudes. Mais tout ce beau monde se rassemblait, aux moments décisifs, pour faire pièce à l’union des gauches, à l’œuvre parallèlement depuis près d’un demi-siècle.
A gauche, c’est l’exercice du pouvoir qui a fait voler ce système en éclats. Le mandat de François Hollande a vu se creuser de façon irrémédiable la fracture entre la gauche qui gouvernait et celle qui n’assumait pas cette responsabilité. On connaît le résultat : la victoire par K.-O. de Jean-Luc Mélenchon sur les socialistes et un effondrement sans précédent à l’élection présidentielle où l’ensemble des gauches a réuni à peine plus du quart des suffrages exprimés.
A droite, c’est la victoire d’Emmanuel Macron, puis sa stratégie de déstabilisation (nomination de Républicains à Matignon et à Bercy, adoption de réformes prônées de longue date par la droite) qui sont en passe de produire le même effet dévastateur. Tant que l’Elysée paraissait à portée de main, l’on préservait les apparences d’une unité factice. Depuis la défaite, le fossé s’élargit chaque jour davantage entre deux droites irréconciliables.
L’Europe, éternelle pomme de discorde
L’on vient d’en prendre la mesure. A un mois du congrès des Républicains qui doit désigner leur futur président, celui qui fait figure d’archi favori, Laurent Wauquiez, a reçu deux avertissements cinglants. Le premier a été lancé, vendredi 10 novembre depuis Nancy, par Nicolas Sarkozy. Intervenant pour la première fois publiquement devant les siens depuis des mois, l’ancien président de la République n’a pas pris de gants : « Celui qui ne rassemble pas, qui pense qu’une famille politique c’est une secte ne peut pas défendre ses convictions. » La mise en garde ne pouvait s’adresser qu’à Laurent Wauquiez,…
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La mise en garde ne pouvait s’adresser qu’à Laurent Wauquiez, accusé de tous côtés de tracer sa route en écartant ou en écrasant quiconque se mettrait en travers.
Intervenant le même jour à l’occasion d’un déjeuner avec la presse diplomatique, Alain Juppé s’est, de son côté, chargé de porter le fer contre la stratégie même du principal candidat à la présidence des Républicains. Qualifiant d’inacceptable « copinage avec le Front national » le soutien que lui apporte l’association Sens commun, émanation radicale de la Manif pour tous, l’ancien premier ministre a également jugé « insupportables les discours anti-élites » dont M. Wauquiez a fait l’un des thèmes favoris de sa campagne.
Mais le maire de Bordeaux s’est surtout démarqué de façon spectaculaire sur la question de l’Europe, éternelle pomme de discorde à droite. Alors que Laurent Wauquiez affiche désormais un discours très eurosceptique, il a pris sans ménagement le contre-pied. Se déclarant en accord avec la démarche européenne volontariste du chef de l’Etat, il a salué « une crédibilité » et une « capacité d’initiative » françaises « retrouvées », avant d’ajouter, dans la perspective des élections européennes de 2019 : « Moi, j’aimerais une grande force de centre droit. Qui la mènera ? Macron ? Un autre ? » Même atténué deux jours plus tard, le propos n’en est pas moins clair : l’attitude à l’égard de l’Europe sera, pour la droite, une pierre de touche, voire un point de rupture.
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Le pari de Wauquiez
Gageons pourtant que ces avertissements laisseront Laurent Wauquiez de marbre. Pourquoi changerait-il d’attitude ? Avant lui, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy n’ont-ils pas amplement démontré que, quelles qu’aient été les préventions à leur endroit, la droite se range derrière son chef une fois celui-ci installé aux commandes ? Pour lui, l’essentiel dans l’immédiat est donc de conquérir le parti : bon gré mal gré, le rassemblement suivra, veut-il croire.
Quant à la stratégie, pourquoi la modifier puisqu’elle est, à ses yeux, la seule pertinente pour reconquérir le pouvoir en 2022, son objectif évident ? Il ne faut pas être grand clerc, en effet, pour constater qu’Emmanuel Macron a, dès son élection, jeté son dévolu sur le centre et le centre droit. A cet égard, la nomination du juppéiste Edouard Philippe à Matignon a été un coup de maître. Loin de s’en lamenter, Laurent Wauquiez entend au contraire saisir l’occasion pour sortir des vieilles ambiguïtés et reconstruire une droite pure et dure, qui « ne s’excuse plus » de l’être. A quoi s’ajoute son intuition que la présidente du Front national, Marine Le Pen, aura le plus grand mal à se remettre de son échec et des doutes qu’il a fait naître sur sa capacité à incarner une alternative crédible à l’actuel président.
Comme Nicolas Sarkozy en 2007, Laurent Wauquiez fait donc le pari de ramener dans le giron d’une droite musclée une partie des électeurs du Front national. Le calcul est simple : en dépit de ses déboires, le score de François Fillon le 23 avril démontre que le socle de l’électorat de droite est de 20 %. Il suffirait donc de convaincre un quart de l’électorat frontiste pour distancer Marine Le Pen et s’imposer comme l’adversaire d’Emmanuel Macron. Tous les moyens sont bons pour y parvenir : d’une part, se poser en opposant virulent du chef de l’Etat, cet homme sans « âme » qui n’a pas « un amour charnel de la France » ; d’autre part, récupérer sans vergogne les thèmes clefs (identité, immigration, sécurité, islam…) et jusqu’au vocabulaire du FN.
L’éditorial :   La stratégie étriquée de Laurent Wauquiez
Ce n’est pas glorieux. Mais ce n’est pas absurde. Sauf si, à force de se déporter vers le FN et de déraciner la droite de son histoire, Laurent Wauquiez tombait dans « le piège que nous tend Emmanuel Macron », qu’il définissait fort bien dans Valeurs actuelles, le 21 septembre : « Plus rien entre lui et les extrêmes. » C’est ce risque, mortel pour la droite, qu’Alain Juppé a dénoncé. Non sans raison.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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