A bas les cultures !

Charlie Hebdo – 15/11/2017 – Gérard Biard –
Que faut-il faire quand on entend le mot « culture » ? Les avis sont partagés. Dans sa pièce à la gloire du nazisme, Schlageter, le dramaturge allemand Hanns Johst appelait à « sortir son revolver ». Quand il officiait sur Radio Luxembourg, dans les années 1960, Jean Yanne préférait pour sa part « sortir son transistor« . Aujourd’hui, il est plutôt recommandé de sortir son dictionnaire, et un flacon d’aspirine pour s’y retrouver dans le foutoir que ce mot est censé définir. 
Car ce vocable, forcément auréolé de respectabilité est désormais employé jusqu’à l’écœurement, parfois à juste titre, mais trop souvent, aussi, à tort et à travers. Dimanche dernier, par exemple, l’extrême droite polonaise défilait dans les rues de Varsovie pour célébrer la supériorité de la « culture blanche et chrétienne« . Plus de différence à présent entre la culture, qui englobe tout ce qui relève des champs de la connaissance, des idées et des arts, et les cultures où l’on entasse pêle-mêle les folklores, les pratiques religieuses, les modes de vie, les différentes façons de faire cuire les haricots ou de tresser les lacets.

Le mot « culture » sert aujourd’hui moins à nommer ce qui nous nourrit intellectuellement, qu’à justifier ce grand fantasme de l' »identité » censé définir une fois pour toutes un individu, un groupe, une communauté, une région, un pays, voire une lubie idéologique ou un mode de vie. « C’est ma culture » est la phrase censée forcer le respect et clore toute opposition dans un débat.
La culture est par définition on figée. Tout comme les lois en démocratie, elle est en perpétuel mouvement, discutée, analysée, critiquée, modifiée, enrichie. Elle peut certes se nourrir du passé, mais c’est un chantier perpétuel du présent, qui, parfois même, est en avance sur l’avenir.Elle est aussi ce qui nous permet de relativiser les cultures, qui elles ne datent pas d’hier, et tendent le plus souvent à y rester.
Ce que l’on nomme « cultures » sont davantage des traditions, des vestiges plus ou moins inaltérés d’époques précises de nos sociétés et de nos civilisations, qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui. Elles n’existent pas par hasard, et encore moins par une volonté divine, mais parce qu’à un moment de l’histoire de l’humanité, dans telle ou telle région du monde, pour une raison ou pour une autre, des femmes et des hommes ont commencé à faire certaines choses. Pour se distraire, ou établir ou préserver un ordre social, pour répondre ou au contraire se soumettre à des pressions politiques ou religieuses, pour des questions de santé publique, etc. Elles peuvent être distrayantes, agréables à pratiquer complètement idiotes mais inoffensives, voire être toujours en phase avec l’époque, mais elles peuvent aussi relever de pratiques inadmissibles, aux quelles il faut mettre fin. 

La question que nous devons nous poser aujourd’hui par rapport à ces traditions est : Ont-elles toujours une raison d’être, sont-elles toujours aussi pertinentes, sont-elles toujours aussi amusantes que par le passé ?  Sont-elles toujours adaptées à notre société, à notre temps, à ce que nous savons, à ce que nous sommes, à ce que nous avons envie de devenir ? Car il arrive que ces coutumes, que nous nommons ou acceptons de voir nommées de plus en plus « cultures », ne soient rien d’autre que de sales manies. Par exemple, les Italiens, du temps de l’Empire romain, avaient une tradition qu’ils trouvaient très divertissante : ils nourrissaient les lions avec des chrétiens. c’était leur « culture ». Pui, un beau jour, ils ont arrêté, parce que, allez savoir pourquoi, ils ne trouvaient ça plus du tout amusant.
Les sacro-saintes « cultures » dont beaucoup se rincent la bouche aujourd’hui, souvent pour de mauvaises raisons, ne sont pas de totems intouchables. se débarrasser des plus nocives n’ampute pas les sociétés, au contraire, cela les fait grandir.

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