Planète – Glyphosate et cancer, l’étude qui relance le débat

Une recherche épidémiologique américaine n’établit pas de lien entre ce pesticide et les lymphomes. Elle est contredite par une autre grande étude en cours de finalisation.

Le Monde | 21.11.2017 | Par Stéphane Foucart
Est-ce l’étude épidémiologique qui changera la donne ? Alors que l’Union européenne doit décider, le 27 novembre, du sort du glyphosate, le Journal of the National Cancer Institute (JNCI) publie dans sa dernière édition les données d’une grande recherche épidémiologique visant à mettre en évidence les effets des pesticides sur les travailleurs agricoles.
Celle-ci, dite « Agricultural Health Study » (AHS), ne trouve pas d’association entre le célèbre herbicide et les cancers « solides », ni avec les cancers du sang (dits « lymphomes non hodgkiniens ») que plusieurs études précédentes ont pourtant liés à son utilisation.
L’AHS suggère toutefois un lien entre le glyphosate et la leucémie myéloïde aiguë – lien qui n’a, au contraire, jamais été mis en évidence jusqu’ici. Chez les utilisateurs les plus exposés, le risque de contracter la maladie est plus que doublé par rapport aux personnes non exposées, mais cette association, si elle est « cohérente quelle que soit l’intensité de l’exposition », n’est statistiquement significative que pour les utilisateurs employant le produit depuis au moins vingt ans.
Résultats divergents
Les chercheurs, conduits par Gabriella Andreotti et Laura Beane Freeman (National Cancer Institute), ont analysé les dernières données issues de la surveillance d’un groupe de plus de 50 000 travailleurs agricoles, recrutés au début des années 1990 en Iowa et en Caroline du Nord. L’AHS s’appuie ainsi sur l’une des plus grandes cohortes de travailleurs agricoles suivies dans le monde.
Ces résultats remettent-ils en cause la classification du glyphosate comme « cancérogène probable » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui l’a inscrit dans cette catégorie en mars 2015 ? « La classification du glyphosate est toujours valide, répond-on au CIRC. Les premiers résultats de l’AHS sur le sujet [publiés en 2005] n’avaient pas non plus mis en évidence…
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Les premiers résultats de l’AHS sur le sujet [publiés en 2005] n’avaient pas non plus mis en évidence de lien entre le glyphosate et les lymphomes non hodgkiniens, mais ces résultats ne l’emportaient pas sur les autres études épidémiologiques, conduites dans plusieurs pays, qui montrent un tel lien. »
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Outre l’AHS, une autre grande étude épidémiologique – le North American Pooled Project (NAPP) – est en cours de finalisation. Ce projet, d’ailleurs partiellement dirigé par les scientifiques impliqués dans l’AHS, consiste à réunir et analyser toutes les données des études dites « cas témoins » menées en Amérique du Nord sur le sujet. Non encore publiés, les résultats du NAPP ont déjà été annoncés au cours de conférences et contredisent ceux de l’AHS : ils indiquent un doublement du risque de lymphome non hodgkinien pour les personnes ayant manipulé du glyphosate plus de deux jours par an.
Pourquoi les résultats de l’AHS divergent-ils de ceux d’autres recherches épidémiologiques ? L’AHS procède d’une démarche prospective (une cohorte est suivie au cours du temps), réputée plus fiable que les études cas témoins. Mais elle est aussi sujette à des biais potentiels.
Dans un rapport commandé par les plaignants d’une action collective lancée aux Etats-Unis contre Monsanto, Beate Ritz, vice-présidente du département d’épidémiologie de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA), fait par exemple valoir qu’« il y a eu une augmentation considérable de l’utilisation du glyphosate et de l’exposition à cette substance, à partir du milieu des années 1990 ». De fait, l’introduction, en 1996, des cultures transgéniques destinées à tolérer le glyphosate (dites « Roundup ready ») a fait passer aux Etats-Unis les épandages de cet herbicide de 5 700 tonnes, en 1990, à près de 45 000 tonnes, en 2000, et à plus de 125 000 tonnes, aujourd’hui.
Exposition généralisée
Or, une telle utilisation, massive, a conduit à une exposition généralisée de la population américaine. Donc, a fortiori, de la cohorte de travailleurs agricoles suivie. Comment, dans ces conditions, être sûr d’avoir correctement discriminé les individus les plus exposés des moins exposés ? Si la question se pose, c’est que l’intensité de l’exposition des travailleurs enrôlés ne repose pas sur des mesures directes (dans le sang ou les urines) sur chacun d’eux, elle a été estimée grâce à un algorithme. Celui-ci calcule une exposition plausible, en fonction de leurs réponses au questionnaire : selon la fréquence et le type de manipulation de la substance déclarés (application ou mélange du produit, manipulation du matériel de pulvérisation, etc.). Mais l’algorithme ignore les autres sources possibles de contact avec le produit.
Autre biais potentiel : le calcul intègre le port d’équipements de protection (gants, combinaison) et considère que ceux-ci abaissent de 60 % l’exposition au glyphosate. Or, selon Alain Garrigou, professeur d’ergonomie à l’université de Bordeaux et l’un des rares spécialistes du sujet, « les équipements de protection ne protègent pas nécessairement des pesticides, et ce peut être même parfois l’inverse, ainsi que nos travaux l’ont mis en évidence ». Publiés en 2011 dans Applied Ergonomics, ceux-ci indiquaient des niveaux d’exposition médians jusqu’à trois fois supérieurs pour les travailleurs théoriquement protégés, par rapport à ceux qui ne l’étaient pas.
« Certains pesticides pénètrent les équipements de protection et y sont retenus, augmentant ainsi l’exposition cutanée des travailleurs, explique M. Garrigou. Cela dépend à la fois du matériau constituant l’équipement et du pesticide. » Du coup, un travailleur protégé classé comme peu exposé peut avoir été, en réalité, plus exposé au produit qu’un travailleur non protégé, au contraire considéré comme très exposé…

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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