L’oreille, patrimoine de l’humanité

Charlie Hebdo – 29/11/2017 – Antonio Fiscetti –
L’Unesco vient ‘adopter une résolution pour « promouvoir de bonnes pratiques liées au son ». un exemple d’application serait de contrôler les techniques utilisées par les radios, les télés, les fabricants de disques, pour saturer nos oreilles.
C’est un peu comme si nos oreilles étaient classées au patrimoine de l’humanité.  Elles le sont déjà dans les faits, mais là, c’est écrit noir sur blanc, dans la résolution 39C/49 adoptée le 31 octobre par l’Unesco. Ce texte recommande de « promouvoir les bonnes pratiques liées au son dans tous les domaines de la vie, et ce dès la petite enfance ».
L’Unesco ne s’est pas prise de passion pour les sons du jour au lendemain. Il y a là-dessous le long travail de Christian Hugonnet, ingénieur acousticien et créateur de la Semaine du son (1). Pour lui, il s’agit d’une « résolution historique ». même si une résolution de l’Unesco est symbolique et n’implique rien d’immédiatement concret, « cela va générer des prises de conscience pour faire entrer les préoccupations sonores dans les cinq thèmes que nous avions définis : L’environnement, la santé, les enregistrements, la relation image et son, l’expression musicale ».
Prenons un seul exemple : celui des sons enregistrés. La résolution de l’Unesco évoque les risques « des niveaux sonores de plus en plus élevés et de manière continue« . Des niveaux sonores élevés on sait tous ce que cela veut dire. Mais l’expression « de manière continue renvoie à un phénomène plus subtil et connu des seuls spécialistes…, mais que nous subissons pourtant tous à longueur de journée. Il résulte d’une technique appelée « compression ». Dans la musique et la voix, il y a toujours de nuances, des sons plus faibles que d’autres. Or la compression consiste, au moment de l’enregistrement ou de la diffusion, à rehausser artificiellement les sons les plus faibles au même niveau que les plus forts (2).
Un son « bio », plus naturel
Dans un concert de musique compressée, les flûtes traversières deviennent quasiment aussi puissantes que els trombones à coulisse ou les percussions. Cette technique est pratiquée par toutes les maisons de disques, les radios, les télés. Cela donne plus de punch au son, et l’auditeur n’a plus besoin de tendre l’oreille, il se cogne tous les décibels à parts égales dans les esgourdes. Vous en avez un bon exemple dans les pubs télé. On a l’impression que leur son est plus fort que le reste des programmes, mais ce n’est pas le cas : cette sensation résulte seulement de la compression sonore, qui ramène tous les sons au même niveau. Christian Hugonnet précise que « les publicités ne dépassent jamais les limites maximales autorisées, mais le son est toujours maintenu au maximum, et c’est ce qui donne l’impression d’un son plus fort ».
Le problème, c’est que l’oreille en fait les frais. Quad on écoute de la musique live, le système auditif peut « se reposer » durant les passages les moins forts. Mais cela n’arrive jamais avec de la musique compressée, qui ne contient « que » des sons forts ; c’est ce qui fait enrager Christian Hugonnet : « Il n’y a plus de nuances, c’est de l’asphyxie sonore, qui ne respecte pas les micro-silences. » pour Maxime Le Forestier, qui est un des parrains de la semaine du son, « c’est comme si on enlevait les pastels d’une palette de peinture. Cela modifie aussi la composition car le musicien se dit que c’est inutile de concevoir de trop grandes variations des sons et de faire dans le détail ».
Aujourd’hui, les musiciens ne peuvent plus échapper à la compression, poursuit Christian Hugonnet : « Chez les labels, on leur dit : si vous voulez que votre disque passe à la radio et se vende, il faut compresser. » Pour reprendre la métaphore picturale de Maxime Le Forestier, C’est comme si un peintre faisait des tableaux avec plein de nuances, amis qu’en vitrine on transformait tout en couleurs vives pour flatter le public.
Certains mélomanes ont trouvé le moyen d’échapper à ce diktat en revenant aux vinyles. « L’enregistrement n’est pas forcément meilleur, mais comme il était moins compressé, cela laisse plus de place aux respirations sonores, et cela a disparu avec le CD ».
Alors, si la compression nuit à l’audition, pourquoi ne pas réglementer son usage à la télé ou aux disques ? Christian Hugonnet ne serait pas contre : « On pourrait imaginer un label de disques avec moins de compression, par exemple. » Comme un son « bio », plus naturel, en somme. La compression n’est qu’un exemple des innombrables enjeux sonores et politiques auxquels la résolution de l’Unesco pourrait nous sensibiliser. Il faut d’abord avoir conscience de ce qu’on entend pour se le réapproprier et en jouir.
(1) lasemaineduson.org – prochaine édition du 22 janvier au 4 février 2018.
(2) Attention, nous parlons ici de la « compression » qui conduit à réduire les nuances sonores en aplanissant les différences entre niveaux forts et niveaux faibles. Ce n’est pas la même chose que les sons dit « compressés » MP3 ou MP4, qui consistent en une réduction des données dans les fichiers de sons numérisés.

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