L’époque – L’été de l’amour « C’était celle-là qu’il fallait que je garde ! »

La journaliste et réalisatrice Stefania Rousselle a passé l’été sur les routes de France pour entendre parler d’amour. En juillet, elle a rencontré Marcel.
 – Témoignage Le Monde | 26.27.11.2017  | Par Stefania Rousselle

Marcel Etcheverry, 63 ans, berger au pic d’Ansabère (Pyrénées-Atlantiques) en juillet 2017. Stefania Rousselle
Mcabane ? Elle s’appelle la Villa des privés d’amour. Je l’ai gravé au-dessus de ma porte. Avant, dans les familles d’éleveurs, il y avait plusieurs enfants, six au moins. Il devait toujours y avoir un berger pour s’occuper des bêtes. Et les parents envoyaient toujours dans la montagne celui qu’ils aimaient le moins. Ça a été mon cas. A 14 ans. Mes parents avaient de sacrées préférences. Maman surtout. Mais les mamans, elles font ce qu’elles peuvent. Je ne leur en veux pas. Ma mère est morte il y a cinq ou six ans

Marcel Etcheverry, berger au pic d’Ansabère (Pyrénées-Atlantiques), a surnommé sa cabane la Villa des privés d’amour. Stefania Rousselle
Comment on survit à ça ? Eh bien, on passe une mauvaise adolescence. Elle était interminable. Très longue. Je souffrais. J’étais timide. Je passais des semaines dans la montagne sans voir un chat. Je descendais toutes les semaines au village chercher le pain, et hop, je remontais avec mon âne. Les petits bals du samedi soir, les sorties, tu passes à côté de tout ça. Puis on s’adapte. J’ai été heureux. Je ne regrette rien. Le temps efface les choses. Quand ça va mal, tu te dis que ça ira mieux demain et, finalement, ça va mieux. Ça va toujours mieux.
L’être humain est pas terrible. Il est mauvais. J’aime pas les gens, en fait. Ils sont tordus. Moi, je les évite. Tous. C’est pour ça que j’aime travailler avec les animaux. Ça n’a pas les idées tordues comme les humains. Je suis terrifié du monde dans lequel on vit. J’ai honte d’être humain, parfois. J’aurais préféré être un chien. Je ne sais pas trop parler de ça. Je suis habitué à ne rien dire. Alors quand il faut dire les choses, c’est difficile. Je garde ça pour moi. Je me raconte des histoires tout seul. Ça sert à rien de les étaler. On ne t’écoute pas.

Le pic d’Ansabère (Pyrénées-Atlantiques) où vit le berger Marcel Etcheverry. Stefania Rousselle
Je suis avec Katia, aujourd’hui. Elle est parisienne. Elle est bien. En fait, c’est une fille que j’ai connue quand elle avait 17 ans. Moi, j’étais plus âgé, j’avais 25 ans. Je l’avais prise comme employée. Elle m’aimait bien, mais ce n’était pas réciproque. J’aurais pu faire des choses avec elle, et puis non. J’en avais une autre. C’était compliqué. Elle est partie et on a passé trente ans sans se voir.
« Si je l’aime ? Je ne sais pas. C’est un mot bizarre. Je ne sais pas trop. Je me sens aimé. »
On s’est retrouvés il y a une douzaine d’années et je me suis dit : “Merde, c’était celle-là qu’il fallait que je garde !” Je me suis marié avec elle il y a dix ans. Katia est à Paris, en ce moment. C’est une infirmière de nuit. Elle avait très mal au dos et vient de se faire opérer. Elle est en rééducation.
C’est une femme qui me va bien. Elle me complique pas la vie. Elle vit ma vie. Il y a des tas de femmes, il faut vivre leur vie. C’est ma vie que je vis, pas celle des autres. Elles s’adaptent ou elles ne s’adaptent pas. Celle-ci, elle s’est adaptée.
Si je l’aime ? Je ne sais pas. C’est un mot bizarre. Je ne sais pas trop. Je me sens aimé. Et elle s’occupe de moi, un peu trop même. Mais j’y tiens et je me sens bien avec elle. C’est peut-être ça, l’amour ? J’ai une fille, qui m’a renié. Quand elle était jeune, je me suis régalé. Et puis, d’un seul coup, ça s’est arrêté. Une bêtise idiote. Elle a 22 ans aujourd’hui. On ne se voit plus depuis dix ans. C’est vraiment dommage.
Si j’avais été moins con à 25 ans, Katia et moi on aurait eu des petits. Je vais bientôt atteindre l’âge de la retraite. Si j’avais fait un gosse avec elle, il y aurait eu quelqu’un pour prendre la suite. Il y a mille brebis. Ils ne sont pas fous, les gosses. Ils veulent gagner beaucoup de pognon et pas trop travailler. Devoir vendre, ça m’embête. Je n’ai pas envie de partir. J’ai consacré ma vie entière aux brebis. Toute ma vie. C’est beau, hein, quand même. »
Retrouvez la série sur Instagram : @stefaniaroussellel’époque

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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