Fier comme un Polonais

Charlie Hebdo – 27/12/2017 – l’édito de Riss –

Que faire des Polonais ?  Droit et Justice, le parti au pouvoir depuis sa victoire électorale en 2015, n’en finit pas de régler ses comptes avec tous ceux qui ne pensent pas comme lui: les médias, l’opposition ou la Cour suprême.

Pourquoi la Pologne est-elle aussi réac ? Ce qui frappe quand on se balade à Varsovie, c’est pourtant la modernité. Des centres commerciaux ultramodernes côtoient le Palais de la culture et de la science offert par Staline. Dans les bars s’enivre une jeunesse truffée d’autant de piercings dans le nez que celle de Berlin ou de Londres. Avenue Jean-Paul-II (ça existe) clignotent les vitrines de sex-shops qui n’ont pas à rougir à côté de ceux de Paris ou d’Amsterdam. Dans l’ouest du pays, les agriculteurs polonais vont en Allemagne acheter du matériel agricole dernier cri dont beaucoup d’exploitants français n’ont probablement jamais entendu parler. Sur la route de Gdansk, on croise de magnifiques élevages industriels d’au moins 1 million de poulets et dont l’odeur n’a rien à envier à ceux de l’Ouest.

Depuis la chute du mur, la Pologne est entrée dans la modernité et dans l’Europe tête baissée, comme pour rattraper ne quelques années les décennies dans lesquelles le bloc de l’Est l’avait congelée.

Alors, pourquoi est-elle dirigée par une bande de réactionnaires cathos-fachos-racistes ? L’euphorie des premières années de démocratie a laissé place à une désillusion causée par la brutalité de l’économie libérale. Le consumérisme a montré ses limites. La Pologne catholique de Jean-Paul II en a tiré profit en tenant un discours alternatif à cette société de consommation importée de l’ouest, McDonald’s remplit les ventres, Dieu remplit les têtes.

Aux élections législatives d’octobre 2015, avec 5,92 % des votants, le parti Droit et Justice n’avait obtenu que 5 711 687 voix sur 30 627 150 inscrits. Mais c’était suffisant pour diriger le pays. Droit et Justice ne compte que 21 000 membres, alors qu’en France, le Front national, qui en aurait un peu plus du double, n’a jamais pu accéder au pouvoir.

En Pologne, l’euroscepticisme s’est toujours bien porté. Autrefois, les malheurs de Polonais, c’était la faute de Berlin, puis de Moscou, et maintenant de Bruxelles. En 1939, les Polonais pensaient que Paris et Londres ne laisseraient pas Hitler envahir leur pays. Mais Paris et Londres n’ont pas bougé et la Wehrmacht les a avalés tous crus. Ça laisse des traces. Il a fallu du temps aux Polonais pour avoir de nouveau confiance dans l’Europe. 

Mais la défiance des Polonais à l’égard de l’Europe a aussi ses limites. après avoir reçu des stukas sur la tête, la Pologne est aujourd’hui bombardée de paquets de fric et de subventions larguées par Bruxelles. Ça fait réfléchir. L’exemple du « Brexit » n’a pas été suivi par les Polonais les plus anti européens car ils savent que cal appauvrirait leur pays et qu’ils se retrouveraient bien seuls avec les Russes pour voisins. Et que deviendraient les ouvriers polonais qui travaillent en France, comme à Saint-Nazaire sur les paquebots construits par les Chantiers de l’Atlantique ?

Les Polonais qui ont connu le bloc de l’Est avaient horreur qu’on les compare aux Ruses ou aux allemands de l’Est. Aujourd’hui membres de l’Union européenne, ils ont gardé cette fierté qui les a peut-être aidés à tenir pendant quarante-trois ans sous la botte soviétique. « Ce n’est pas Moscou qui nous a fait plie, ce n’est pas Bruxelles qui y parviendra. » La fierté d’un peuple, c’est beau, mais ça peut être aussi très con. Quand on évoque l’avortement, les Polonais affirment très haut que jamais ils ne le légaliseront. L’interdiction de l’avortement en Pologne, c’est comme le camembert et le vin rouge en France; un produit du terroir qui se fiche complètement des normes européennes. Pourtant, on trouve dans les journaux polonais de nombreuses petites annonces codées dont tut le monde sait qu’elles offrent la possibilité de se faire avorter moyennant finance. Qu’importe. La prohibition de l’avortement, qui est une honte ailleurs en Europe, devient une fierté en Pologne. On a la fierté qu’on peut.

Dessin de Topan, Roumanie

Il est temps d’en finir avec les stéréotypes : ne dites plus « saoul comme un Polonais ». Chaque Polonais consomme l’équivalent de 9,5 litres d’alcool pur par an, soit moins qu’un Tchèque (12,4 l), qu’un Allemand (12 l), qu’un Slovaque (10,8 l) ou qu’un Français (10,7 l)”, affirme le quotidien Gazeta Wyborcza.