Science – Astéroïde : l’astroblème de Rochechouart sort de l’ombre – Vidéo

Il y a plus de 200 millions d’années, un énorme rocher s’écrasait dans ce coin du Limousin. Pour la première fois, les géologues creusent à l’endroit même de l’impact afin d’étudier ce trésor géologique.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  09.01.2018  | Par Ludivine Loncle

Astrogéologue, Philippe Lambert s’intéresse à l’astroblème de Rochechouart-Chassenon depuis plus de 40 ans. Loic MAZALREY-DALAM
Des millénaires et des millénaires qu’il est enfoui là, à l’abri des ­regards, enraciné dans les profondeurs de Rochechouart (Haute-Vienne). Qu’il garde ses secrets bien au chaud dans cette terre paisible du ­Limousin quand pourtant, ici, tout dans l’air respire le cataclysme venu du fond des âges. Le Camping de la météorite, Météore Moto, l’hôtel La Météorite… La petite commune de Rochechouart, son économie et son tourisme, surtout, savent se rappeler quand il le faut l’incroyable collision cosmique qui s’est produite en ces lieux il y a un peu plus de 200 millions d’années. Non pas une météorite d’ailleurs, mais plutôt un gros astéroïde de 1,5 kilomètre de diamètre qui s’est écrasé ici dans un fracas immense, pulvérisant tout sur son passage et laissant derrière lui un ­gigantesque cratère d’impact d’une vingtaine de kilomètres de diamètre.

A dire vrai, l’unique astroblème de France est un trésor géologique, enseveli comme les mystères de Pompéi dans ce sous-sol situé à la limite de la Haute-Vienne et de la Charente. Mais une campagne de forage exceptionnelle le sort enfin de l’ombre. Une première. Depuis quatre mois, géologues, planétologues, biologistes fouillent en effet les entrailles de Rochechouart, aidés dans leur tâche par un chenillard de 11 tonnes, une ­foreuse géante et sa grosse colonne cylindrique qui creusent la terre à des profondeurs variées.
Une quinzaine de prélèvements s’enfonçant de 1 mètre à 120 mètres, sur huit sites différents de la Réserve naturelle nationale de l’astroblème de Rochechouart-Chassenon. Des carottes en sont extraites : 500 mètres au total de roches à nulles autres pareilles en France. « Ce sont elles que nous allons étudier. Elles vont nous permettre d’approfondir nos connaissances sur ce site et, d’une manière générale, sur les cratères d’impact qui restent encore une science méconnue », explique Philippe Lambert, l’astrogéologue à la tête de cette opération inédite, directeur d’une ­structure associative, le Centre international de recherches sur les impacts et sur Rochechouart.
Des milliers de bombes atomiques
Faire parler ces roches, voilà l’idée de ce fondu de l’astroblème limousin qui, depuis plus de quarante ans – à la suite de son découvreur, François Kraut (1907-1983), il y a cinquante ans – en a fait sa quête du Graal. Car s’il ne fait pas de doute qu’une explosion astronomique a bien eu lieu sur ces ­terres, il ne reste aujourd’hui rien du tout en surface du cratère d’impact. L’érosion, inéluctable, a fait son œuvre et la crête, qui devait culminer à un bon kilomètre d’altitude, s’est totalement effacée au fil des millions d’années. Et l’on a désormais grand peine à s’imaginer que, en des temps immémoriaux, ce qui est maintenant un charmant coin du Limousin, avec sa campagne verdoyante et ses paisibles vaches, tenait plus du champ de bataille que du joli petit vallon. Du chaos, même.
Il y a 200 millions d’années, les 6 milliards de tonnes du gros rocher probablement issu de la ceinture d’astéroïdes, un réservoir de petits corps situé entre les orbites de Mars et de Jupiter, frappent en effet ce lieu à la vitesse de 72 000 km/h, entraînant une déflagration monstre comparable à plusieurs milliers de bombes atomiques, qui ­vaporise littéralement le bolide cosmique ! « La violence du choc a créé dans l’instant une cavité de plusieurs kilomètres de profondeur, analyse ­Philippe Lambert. Seulement, voilà, le cratère s’est rapidement modifié, ses bords se sont élargis et son fond est remonté, il s’est soulevé. Finalement, le trou provoqué par l’impact ne s’est pas refermé mais sa profondeur s’est réduite à un kilomètre, tout cela en l’espace de quelques heures seulement. »
Astéroïde de Rochechouart. Loïc Mazalrey-Dalam
Autour, c’est la désolation la plus totale. Faune, flore, l’exterminateur interplanétaire a tout anéanti sur son passage. Fort heureusement, en ces temps reculés où le trias laisse place au jurassique, nul humain à l’horizon : les dinosaures règnent en maîtres incontestés sur les terres émergées, qui ne forment alors qu’un seul continent, la Pangée. Ce qui ne s’appelle pas encore Rochechouart profite à cette époque d’un climat chaud et aride et d’une mer intérieure située à une vingtaine de kilomètres de là, le lac Atlantique, futur océan que va bientôt créer la séparation progressive de nos continents actuels.
La chute de l’astéroïde lève un énorme tsunami sur cette étendue d’eau, engendre un lac de lave et éradique toute vie à des centaines de kilomètres à la ronde. Il y a aussi cette colossale énergie libérée par l’impact, ce souffle incroyable et cette chaleur apocalyp­tique qui brûlent à des milliers de degrés les ­roches. « A la suite du choc, les roches originelles ont été complètement transformées, raconte Pierre Poupart, le conservateur de la réserve natu­relle nationale. Impactées, elles ont été projetées et certains éléments ont fondu. Ces débris sont ensuite retombés au fond du cratère qui venait de se former. Là, ils se sont soudés entre eux et ont modifié durablement le sol. »
Signatures chimiques dans les roches
Ce sont justement ces débris, des « brèches d’impact » comme les nomment les géologues, qui suscitent aujourd’hui la curiosité des chercheurs. Ce sont les seuls témoins du choc à avoir traversé le temps. Enterrés, ils s’affichent aussi depuis des siècles, sans qu’on en ait toujours conscience, sur les maisons du village. Eglise, vieilles bâtisses du bourg, château… Pour édifier les bâtiments, les habitants ont en effet puisé dans les ressources locales, à commencer par la pierre qui porte en elle les stigmates de ce cataclysme ancestral. Dans un même bloc de roche, on trouve ainsi des morceaux de tailles et de couleurs différentes, tantôt anguleux, tantôt plats. Et aussi des petits points orange, ces cristaux d’orthose bourrés de potassium. Autant de signatures chimiques laissées par l’astéroïde dans cette terre du Limousin. « Il y a également des traces de nickel, d’iridium, de fer, de cobalt en quantité inhabituelle. Ici, le sol a le goût de l’astéroïde », précise Philippe Lambert.
Pour ce passionné, Rochechouart est une pépite géologique qu’il était temps d’exploiter. Car il en est persuadé : les retombées scientifiques de cette campagne de 150 000 euros, financée par l’Europe, l’Etat et les collectivités locales, seront aussi importantes que celles menées sur le cratère d’impact du Yucatan, au Mexique, où s’écrasa, il y a 66 millions d’années, l’astéroïde à qui l’on attribue généralement l’extinction des ­dinosaures.
« Nous allons pouvoir déterminer de manière précise la datation de l’astroblème, sa forme et sa taille initiales, dit-il. On sait que le ­diamètre du cratère est supérieur à 20 km mais les estimations actuelles sont vagues et controversées, entre 30 et 50 km. Les études des roches prélevées ambitionnent d’aller bien au-delà de cet astroblème. Comment les planètes se sont formées, pourquoi et comment la vie peut apparaître et disparaître… » Autant de questions qui, les travaux de forage à peine terminés, interpellent déjà l’élite scientifique internationale. Plus d’une soixantaine d’experts espèrent examiner sur place les carottes de roche dans un laboratoire devant ouvrir en juin. Reste à trouver les ­ultimes subventions pour son équipement scientifique, et tout sera réuni pour enfin percer ces ­secrets d’un autre âge.
Vidéo

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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