A mort la croissance !

Charlie Hebdo – 10/01/2018 – Jacques Littauer –
Depuis l’après-guerre, l’augmentation du produit intérieur brut guide nos sociétés. Pourtant, elle ne résout ni les problèmes écologiques ni les injustices sociales, et elle risque d’alimenter nombre de maladies. 
Elle est belle, elle est belle, elle est rassurante, elle nous porte depuis que nous sommes tout petits, et la bonne nouvelle, c’est qu’elle est revenue. Qui ça ? Maman ? Presque. C’est la croissance, les amis. Le produit intérieur brut (PIB) va pousser en 2018 comme rarement, une envolée de presque 2 %. Vous vous rendez compte ? Là où Hollande a plafonné à 0,8 % de croissance par an en moyenne au cours de son quinquennat, notre Mozart de la réforme sociale régressive et souriante fait plus de deux fois mieux…  
Et là vient l’argument qui tue : ça va quand même créer des emplois, non ? Oui, mais un peu, seulement un peu. Prévision stupéfiante de la Banque de France : en 2018, le chômage ne baissera pour ainsi dire pas. Oui, oui, vous avez bien lu : après deux ans de « forte » croissance en 2017 et 2018, il y aura toujours autant de chômeurs. Les créations d’emplois devraient en effet être limitées à 150 000 euros en 2018, contre 280 000 en 2017, presque moitié moins. Car, entre temps, notre génial président, soutenu par la millionnaire Pénicaud, ministre du Travail, a eu l’excellente idée de supprimer les emplois aidés, ces emplois jugés inefficaces alors qu’ils figurent parmi les plus utiles du pays, et qui en plus ne coûtent rien ou presque…
Selon la Banque de France, il faudra donc attendre 2020 pour voir le chômage redescendre à 9 %, un taux qui condamne des millions de gens à se voir accuser d’être fainéants, alors qu’ils souffrent de pas pouvoir s’épanouir dans un métier. C’est pathétique. La croissance ne règle même pas le problème du chômage ! Et elle ne règle rien d’autre. Car, de quoi avons-nous besoin ? Chacun aura sa liste, mais on peut penser à un environnement enfin respecté, à des quartiers sûrs, à des logements nombreux, abordables et de qualité, à des transports collectifs propres, à des crèches, à une alimentation enfin débarrassée des pesticides, à des livres, des spectacles et des films accessibles à tous…
Bref, que des trucs chouettes, des trucs importants. Mais surtout des trucs que ne nous fournirons spontanément ni l’industrie agroalimentaire, ni les constructeurs de bagnoles, ni même la « start-up nation ». Car la « croissance » spontanée de notre système économique n’apportera aucune solution. Au contraire, elle va aggraver de nombreux problèmes, comme l’obésité, les cancers et les maladies cardio-vasculaires, causés par notre civilisation pathogène. Aux États-Unis, l’espérance de vie a baissé cette année pour la deuxième année consécutive, nous voilà prévenus…

Car le PIB est une très mauvaise boussole, héritée de la reconstruction d’après guerre, où le but, légitime, était bien de produire plus. Mais le PIB a de nombreux défauts : il augmente avec l’énergie gaspillée dans les logements « passoires » et la consommation d’antidépresseurs, il oublie le travail domestique, privilège que les femmes aimeraient bien partager un peu plus, et ne s’intéresse pas aux inégalités ni aux déchets que nous accumulons… C’est un très mauvais indicateur de l’état de bien-être de notre société. 
Il est donc temps de le remplacer par d’autres chiffres. Par exemple, un indicateur rigolo est celui proposé par le Global Footprint Network, du nombre de planètes qu’il faudrait si tous les habitants du globe avaient notre mode vie. Bien sûr, il y a pire que nous, tels les américains, dont le mode de vie étendu à l’humanité nécessiterait cinq planètes… Mais pour nous les français, qui sommes si fiers de notre « art de vivre », prétendument si respectueux du terroir, c’est combien à votre avis ? Eh ben, c’est trois. Beaucoup trop, puisque nous ne disposons que d’une seule planète.
Déficits et réserves écologiques : La vitalité économique des nations dépend d’actifs écologiques de plus en plus rares. Notre carte montre quels pays ont un déficit écologique (rouge) ou ont une réserve écologique (vert). https://www.footprintnetwork.org/countries/
On peut aussi se faire du mal avec les inégalités, comme le propose l’excellent Observatoire des inégalités, qui a bien besoin de vos dons, au passage : en France, les 10 % de personnes les plus riches reçoivent 27 % du pognon, quand les 10 % les plus pauvres doivent s’en partager… 3 %.  Et, depuis la crise de 2008, nos amis les riches ont engrangé 40 % de la richesse créée, tandis que les pauvres en ont reçu 2 %. Rude, non ? Et ce n’est pas un peu de croissance en plus qui va y changer quoi que ce soit.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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