Jean-Louis Laville : « Il faut tenter le pari de la confiance». Jean-Louis Laville est professeur du Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris (Cnam), où il est titulaire de la Chaire «Économie Solidaire» et auteur de « L’économie sociale et solidaire. Pratiques, théorie, débat », au Seuil.

Peut-on encore parler d’individualisme dans notre société ?
Le constat que nous faisons dans l’ouvrage (1) qui vient d’être publié, c’est que nous assistons à l’émergence dans plusieurs continents de nouvelles formes d’engagement public. C’est un véritable mouvement de fond sensible dans toutes les régions du monde mais qui reste largement invisible aux yeux de la plupart des média. Il y a en outre un danger : que ces initiatives citoyennes et solidaires ne se pensent qu’au niveau politique (à travers les seules revendications de mouvements sociaux) ou qu’au niveau économique (à travers un secteur, l’économie sociale et solidaire). Pour être transformatrices et pas seulement éphémères et réparatrices, il faut justement qu’elles allient les deux, alors qu’on a l’habitude de séparer l’un et l’autre. En Amérique du Sud, par exemple, l’agro-écologie a mis au centre de son action politique la recherche d’une autre économie.
Comment transformer ces initiatives en solutions permanentes ?
C’est justement tout le défi à relever. À l’échelle d’un quartier, il faut que les initiatives des habitants soient prises en compte car elles génèrent de nouvelles possibilités en matière économique. Ces initiatives ne doivent plus être méprisées par les décideurs privés et publics. La priorité, c’est au contraire de concevoir un système d’appui approprié pour les conforter — il faut pour cela faire des investissements matériel et immatériel — afin qu’elles puissent engendrer de véritables dynamiques positives sur le moyen et long terme. On est vraiment à un tournant : soit ces initiatives sont uniquement considérées avec sympathie, soit elles constituent un socle sur lequel habitants, chercheurs et décideurs s’appuient pour inventer de nouvelles démarches et sortir de la précarité. Les nombreux exemples rassemblés dans le livre montrent que c’est possible à condition de susciter une mobilisation inédite. C’est le cas en France avec l’organisation du premier Forum national par le mouvement citoyen «Pas Sans Nous » qui s’est déroulé fin novembre et qui va déboucher sur un manifeste afin de sensibiliser les responsables politiques.
Les pays du Sud sont-ils en avance sur le Nord ?
Effectivement, certains le sont. Il faut savoir que nous ne sommes plus dans un monde où le Nord dicte ses trajectoires au Sud. Nous avons à apprendre des expériences menées dans les pays du Sud. Il faut aujourd’hui faire circuler les innovations et être plus attentif à ce qui se passe ailleurs. Il ne faut pas laisser ces initiatives à l’abandon, il y a un vrai défi à relever et nous devons faire le pari de la confiance.
(1) – «Mouvements sociaux et économie solidaire», J.-L. Laville, J.-L. Coraggio, E. Bucolo, G. Pleyers, DDB.
Editions Desclée de Brouwer 492 p. / parution 08/11/2017 / 21,90 €
Présentation :
Et si les pratiques étaient en avance sur les théories ? En effet, sur le terrain il existe de multiples liens entre mouvements sociaux et économie solidaire, or le dialogue entre spécialistes de ces deux domaines reste trop rare. Cette ignorance mutuelle n’est plus tenable. Comme les acteurs les chercheurs en matière d’économie sociale et solidaire ont beaucoup à apprendre de ceux qui se dédient aux mouvements sociaux et réciproquement. Il s’agit donc d’amorcer une réflexion dans ce sens. Elle est alimentée par de nombreux exemples, d’Amérique du Sud et du Nord, d’Asie et d’Europe (Appel des appels, Attac, commerce équitable, insertion par l’activité économique, mouvements écologiques et féministes…). Trente-deux auteurs de ces divers continents analysent avec précision les acquis et limites de ces réalisations. C’est bien une sociologie globale qui est visée puisque la perspective internationale ne se limite pas à une comparaison de données, elle permet de formuler une conceptualisation originale de ces deux champs comme de leurs rapports. Avec les contributions de Josette COMBES,Thomas COUTROT, Eric DACHEUX,Ivonne FARAH HENRICH, Bruno FRERE,Laurent GARDIN, Vincent de GAULEJAC,Daniel GOUJON, Isabelle GUERIN,Pablo GUERRA, Noriko HATAYA,Isabelle HILLENKAMP, Christian JETTE,Benoît LEVESQUE, Alain LIPIETZ,Claudio NASCIMENTO, Geoffrey PLEYERS,Hervé ROUSSEL-DESSARTRE,Valmor SCHIOCHET, Jean-Michel SERVET,Claude SICART, Paul SINGER,Maristella SVAMPA, Víctor TOLEDO,Leandro VERGARA-CAMUS,Christine VERSCHUUR,Fernanda WANDERLEY, Magali ZIMMER.
Voir aussi : «L’économie solidaire en pratiques», M. Hersent, A. Palma Torres (dir.), Erès.
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