On arrête les canons à neige ?

La Décroissance – décembre 2017 – Raoul Anvélaut –
« Il faut être conscient qu’en hiver, sans neige, il n’y a pas de client. Et sans client, pas d’argent. Tout le reste, c’est du vent. » L’auteur de cette citation est Gilles Chabert »président de la commission montagne » à la région Auvergne Rhône-Alpes, au Conseil régional, le 23 juin 2016. Gilles Chabert est surtout président du syndicat national des moniteurs du ski français (SNMSF) soit dix-sept mille moniteurs et 300 millions d’euros de chiffre d’affaires par an. Il se qualifie d’homme le plus puissant de l’arc alpin » (L’Équipe magazine – 22juin 2012)
Justement, pour ne prendre qu’un exemple, cet été son confrère le directeur de la station du Stelvio Pass, dans les Alpes italiennes, a été conduit à une première : fermer. « La chaleur et les faibles chutes de neige ces trois dernières années l’ont conduit à cette décision qualifiée d' »historique » par Reuters (France Info – 6 août 2017). Pas de problème, selon la religion scientiste en vigueur : « Les problèmes générés par la technique seront toujours réglés par des solutions techniques » (qui entraîneront à leur tour d’autres problèmes techniques…). Mais, comme le disent nos grands phares de la pensée qui tournent en boucle dans les grands médias (Luc Ferrire, Pascal Bruckner, Jacques Attali…) : « L »homme a toujours trouvé une solution ! » Il n’y a que les misanthropes, tristes sires adeptes de l' »écologie punitive » et tout remplis de « joie mauvaise », pour en douter. C’est là que l’humain dans son génie a inventé le canon à neige. Alléluia ! Car, comme l’explique avec subtilité Gilles Chabert : « Ce qu’on veut, c’est faire du ski, le reste c’est du bla-bla » (montagne magazine 3 mai 2016).   
La preuve ? On le sait que les Émiratis ont construit une station de ski en plein désert (couplé à un centre commercial, c’est encore mieux). Non seulement on y fabrique de la neige, mais en plus, on y refroidit l’air. Une solution pour nos stations alpines ? Les mettre sous cloche comme dans le golfe persique ? Après tout, « or blanc », « or noir » même combat !
La station de ski de l’émirat de Dubaï
Le canon à neige porte bien son nom : c’est une machine de guerre contre le climat. Plus on canonne, plus on réchauffe, plus on doit canonner. Sans parler des nappes phréatiques que l’on assèche (1). Il fonctionne sur le même mode qu’un climatiseur : ces satanées lois de la biophysique font que tout refroidissement se paye par l’émission d’une quantité de chaleur supérieure. On voit bien dans les deux cas le cercle vicieux. 
Au sujet du ski justement, parlons-en. A écouter les grands médias, on a l’impression que toute la population, l’hiver venu, glisse sur les pistes des stations : « Les sports d’hiver occupent-ils une place aussi grande dans les médias parce que le tourisme est un enjeu économique important et que le ski fait partie des pratiques de l’univers des journalistes ?, s’interroge l’Observatoire des inégalités (2). Il suffit qu’une fraction très réduite de la population se déplace pour alimenter les médias en reportages sur les embouteillages, télévisions et radios en complet décalage avec les pratiques de l’immense majorité de la population. » Selon le CREDOC (3), seul 8 % de la population part aux sports d’hiver. Une semaine en station pour une famille équivaudrait à trois mois de Smic. Le ski est donc l’apanage des cadres (40 %), les hauts revenus (31 %) ou les diplômés du supérieur (33 %). Si vous skiez, vous faites partie des 8 % les plus riches d’un pays lui-même parmi les plus riches de la planète…
« Je vois très bien où vous voulez en venir, me dira un de ces privilégiés, mais vous ne pensez pas à toute la domesticité que nous entretenons ! » Et c’est vrai que la montagne est par excellence l’expression des impasses de la société de croissance. En un siècle on y est passé d’une agriculture de subsistance  loin des grandes périphéries à un univers totalement artificialisé aux avant-postes de la mondialisation. La question de la neige artificielle éclaire d’un lumière crue les problèmes des stations de sports d’hiver : leur modèle économique est celui de l’usine à touristes,fondé sur l’exploitation des ressources, l’artificialisation de la montagne et le bétonnage intensif, qui s’articulent et forment un véritable cercle vicieux, expliquent nos confrères grenoblois du Postillon. Une chose est sûre : ce modèle de développement est condamné. mais le reconnaîtrons-nous avant qu’il ne condamne la montagne ? Encore du « bla-bla » ?

(1) Et la consommation d’eau et d’électricité ? Les chiffres de 2008 font état d’une consommation de 26 000 kWh d’électricité consacrée à l’enneigement artificiel d’un hectare de piste. On estime qu’il faut 3 300 m3 d’eau par hectare et par an, et qu’un canon à neige en fonctionnement consomme 200 litres seconde… (Le Postillon N°25, printemps 2014). Quant à la consommation d’argent public : 28 millions d’euros ont été attribués au service de l’enneigement des pistes par le Conseil régional Auvergne Rhône-Alpes (au lieu de 25 millions prévus). « Et ce n’est pas terminé. Gilles Chabert, espère bien une petite rallonge de 8 millions d’euros.) (Dauphiné libéré – 10 octobre 2017).
(2)  Lire :  Les sports d’hiver, une pratique de privilégiés – 3 février 2017 –
(3) Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie

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