Toubib or not toubib – « Recherche médecin de campagne désespérément »

Les petites villes ont beau multiplier les appels du pied aux généralistes, rien n’y fait, les zones rurales ne parviennent pas à les attirer, déplore Benoît Hopquin, directeur adjoint de la rédaction du « Monde », dans sa chronique.
Le Monde |  Mis à jour le 21.01.2018 | Par Benoît Hopquin
Le médecin de campagne est une espèce en voie de disparition
Chronique. Il fait bon vivre à Boran-sur-Oise. « C’est un charmant village, calme et dynamique de 2 200 habitants. Situé dans le parc naturel régional Oise Pays-de-France, [il] offre un cadre de vie idéal pour les amoureux de la nature et de la campagne, à quelques kilomètres seulement de la région parisienne. » Château-Thierry (Aisne) semble bien agréable aussi : « Son environnement fortement boisé, ses vignobles de champagne classés au patrimoine mondial de l’Unesco et la vallée de la Marne lui confèrent un caractère particulier et atypique de “ville à la campagne” qui invite à la promenade et à la détente. » Et que dire de Saint-Philibert, sur le littoral du Morbihan ? « Pour les amoureux de la mer, le secteur offre une multitude d’activités nautiques et de loisirs. » Attirante pour d’autres raisons, Novillars (Doubs), près de Besançon : « Une vie associative dynamique ponctue le calendrier de nombreuses manifestations très fréquentées et appréciées. »
Diplômés de la faculté de médecine, comme on vous envie ! Où vous siérait-il d’exercer votre beau métier, de poser votre mallette, de jouer du stéthoscope et du tensiomètre ? Car, femmes et hommes de l’art, ces petites annonces, façon danse du ventre, repérées au hasard d’Internet sont pour vous. Elles viennent de municipalités qui rêvent d’un pas de deux avec vous, d’entrelacs à la manière des serpents du caducée.
« Ces mots doux sont bien des appels au secours, des SOS de populations en détresse, des bouteilles à la mer numérique face à une pénurie dramatique »
Ces bucoliques retapes ne sont qu’un florilège au milieu de centaines, de milliers d’autres. Elles émargent à une rubrique vilainement contagieuse par les temps qui courent : recherche médecin généraliste désespérément. Puisque ces mots doux sont bien des appels au secours, des SOS de populations en détresse, des bouteilles à la mer numérique face à une pénurie dramatique Tant trouver un médecin actuellement tient du miracle ou de la question vitale. Toubib or not toubib, là est la question…
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Le plus souvent, rien n’y fait
Chacun ses arguments. En Bretagne, les habitants de Landudec (Finistère) ont fait un clip humoristique, ceux de Plouguin (Finistère) se sont photographiés derrière une banderole d’accueil, ceux de Matignon (Côtes-d’Armor) – car même Matignon est dans la dèche – ont planté des panneaux à toutes les entrées. Ambrault (Indre) a fait sa promotion dans 300 facultés françaises. Moussy-le-Neuf (Seine-et-Marne) a choisi son époque et Leboncoin pour son offre d’emploi. Des communes promettent un accueil digne du Camp du drap d’or : un cabinet flambant neuf, un logement de fonction, une exonération fiscale, voire un emploi salarié et le rêve des 35 heures plutôt que des journées à rallonge.
Le plus souvent, rien n’y fait. Car les statistiques sont aussi implacables qu’une mauvaise grippe : le nombre de médecins généralistes s’effondre et un quart d’entre eux ont plus de 60 ans. De cette crise démographique, de cette épidémie de départs à la retraite, les centres urbains souffrent, les zones rurales meurent. Le médecin de campagne est une espèce en voie de disparition. Exit « ce bon docteur », philanthrope à la Balzac qui amenait la science au milieu des champs, notable de province versé dans la politique, savant qui se partageait avec le curé la guérison des corps et des âmes, brave homme qui semait le bien et les panacées.
Tout cela n’est pas si vieux, pourtant. Dans sa biographie et hymne à l’humanité, Médecin de campagne, une vie (Calmann-Lévy, 2014), Georges Vieilledent raconte encore cela : un sacerdoce consenti avec bonheur au bon air du plateau de la Margeride. « Il faut bien le reconnaître : ma profession n’est plus attractive, écrit pourtant l’auteur. C’est une vie de sacrifice, d’engagement. La satisfaction qu’on en tire n’est pas monétisable. » Et, prenant les accents de Jean Ferrat dans La Montagne, d’avouer : « Les jeunes rêvent de pouvoir prendre des vacances à Majorque ou Miami, d’offrir une belle maison à leurs enfants, de passer des week-ends auprès d’eux et des nuits complètes au lit. » De fait, il n’y a rien de plus normal que de vouloir vivre sa vie.
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Les réfractaires exciperont à raison que les déserts médicaux sont des déserts tout courts, où les services publics, les commerces disparaissent. Le serment d’Hippocrate ne stipule nulle part l’obligation d’aimer les pâquerettes et la chlorophylle. On n’est plus au temps où le docteur Parpalaid vantait à son successeur Knock les paysages et l’absence de tentations à Saint-Maurice : « Pas une seule distraction coûteuse. »
Autant rester au lit
« Plus il y a de soignants, plus on soigne », affirmait la députée (LRM) de L’Eure Séverine Gipson, dans une réplique que n’aurait pas reniée Knock. On peut pousser le raisonnement plus loin : « Moins il y a de soignants, moins on soigne. » Cela vaut-il en effet de faire cinquante kilomètres et de lire un vieux Paris Match pendant des heures dans une salle d’attente pour un simple coup de froid ? Cela vaut-il d’engorger le 15 ou les urgences des hôpitaux pour une poussée de boutons ? Autant rester au lit avec son automédication. N’est-ce pas, au final, autant d’économies pour la Sécu ?
Les mesures incitatives des gouvernements depuis vingt ans, les embauches de médecins roumains ou autres, les lourds efforts financiers consentis par les collectivités locales, pas plus que les roucoulades des maires à l’adresse des impétrants, n’ont freiné la désaffection. Les nouvelles aides prévues par la ministre de la santé auront-elles plus de chances ? On réservera le diagnostic.
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Une proposition de loi discutée le 18 janvier à l’Assemblée nationale envisageait une potion plus sévère. Afin d’atténuer le déséquilibre géographique, ce texte de la Nouvelle Gauche souhaitait interdire l’installation de nouveaux médecins dans les zones déjà pourvues plus que la moyenne, comme la Côte d’Azur qui aurait des docs en stock. Il s’agissait d’appliquer le principe « une arrivée pour un départ », sous peine de ne pas être conventionné. Cette ordonnance revient régulièrement dans le débat public et est, tout aussi régulièrement, retoquée, au nom de la libre installation. Alors, dans cette France que fuient les praticiens, il ne reste aux malades qu’un seul remède : être patients.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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