Comment voler à l’étalage chez Amazon ?

Charlie Hebdo – 31/01/2018 – Iegor Gran –
Amazon Go est un magasin sans caisses ni caissières. Par son fonctionnement, il supprimerait la notion même de vol. Mais c’est sans compter sur l’ingéniosité du vice.

Lancé en grande pompe par Amazon, un supermarché sensationnel s’est ouvert à Seattle. On y entre comme dans un moulin (ou presque), on se sert, on repart, le tout sans faire de queue à la caisse (il n’y en a pas), ni payer physiquement. On peut même le faire en courant, sans marquer le moindre temps d’arrêt à la sortie. Un système ultra sophistiqué de capteurs et de caméras de surveillance comptabilise automatiquement ce que vous prenez en rayon et débite votre carte de crédit une fois dans la rue. Un journaliste du New York Times a essayé de piquer un pack de bières; il a masqué le code-barres, puis il a recouvert le produit d’un sac plastique, avant de glisser le larcin dans son panier, ni vu ni connu. Aucun vigile ne s’est affolé. Personne ne l’a arrêté. Il est sorti tranquillement et… son smartphone a vibré – il a reçu sa facturette par SMS.
Dès qu’on saisit un produit, celui-ci est placé dans un panier virtuel; si on change d’avis et qu’on remet le produit à sa place, le panier se vide. Avec ce système, non seulement il est impossible de voler, mais le client fait attention à ranger lui-même les produits dont il n’a pas besoin au lieu de les abandonner n’importe où dans le magasin. Encore plus fou : plus on fauche, plus le chiffre d’affaires du magasin augmente. Transformer la démarque en achats : Amazon aurait trouvé la pierre philosophale du commerce ! Si on pousse la logique jusqu’à la limite, le géant de la distribution aurait intérêt à inciter au vol dans ses propres magasins, puisque 100 % des produits quittant leurs rayons son facturés. D’ailleurs, les premiers témoignages des clients sont troublants : avec cette facilité d’entrée et de sortie, faire ses courses sans caisse ni caissières procure chez certains une délicieuse sensation de « faire quelque chose d’illégal« , ou pour le moins, de « transgresser une barrière morale » Depuis une semaine que le magasin fonctionne, on aurait même observé une hausse substantielle du panier d’achat (ou faut-il dire désormais « panier de vol » ?)… Diabolique !

L’exquis enfer d’Amazon est un concentré de technologie. Pour y pénétrer, rien de plus simple, il suffit de télécharger une application et de scanner son portable à l’entrée. Dès lors, des centaines de caméras montées au plafond, pilotées par un logiciel surpuissant de reconnaissance faciale et « calvicique », vous suivent discrètement. Le système sait exactement où vous vous trouvez et identifie vos gestes à la fraction de seconde près. Que vous mettiez un chapeau ou que vous décidiez de vous raser ne change rien à l’affaire, car, le temps que vous le fassiez, l’infernal voyeur catalogue votre nouvelle tronche – ce salopard est capable d’apprendre.

Face à cette mission déclarée impossible, l’esprit humain est en train de se révolter. En quelques jours, des forums se sont créés, où l’on appelle à la « résistance » et au « combat ultime de l’homme contre la machine« . Sur CollegeHumor, de jeunes exaltés un peu naïfs proposent de créer des « groupes d’intervention » qui déferleraient sur Amazon Go tels de gigantesque essaims, car « FUCK THAT we are humans and robots can’t tell us what to do !« . L’idée étant d’entrer dans le magasin sans passer par le scanner obligatoire (aucune chance, à moins de creuser un tunnel), ou de venir en couple en ne faisant valider qu’un seul identifiant (impossible, seuls les clients munis de l’application sont admis, suivant le principe un smartphone = une entrée). Sur Quora, un type suggère la bonne vieille méthode du « vol avec abandon d’emballage » qui sert déjà depuis longtemps à neutraliser les puces RFID et autres filaments antivol. Pas évident que ça marche : si le carton est tordu ou endommagé, le système ne le reconnaîtra pas, la vente sera toujours effective et comptée sur l’ardoise du dernier qui aura manipulé le produit.
Alors, imprenable, l’Amazon ? Patience, le combat pour l’honneur du voleur à l’étalage ne fait que commencer. Il est de notre devoir, de le soutenir…

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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