Mexique – A Tapachula, carrefour des exilés

La ville frontière du sud du Mexique est une étape obligée pour les migrants en route vers les Etats-Unis. Avec Donald Trump et son projet de mur, la douce escale se transforme en fin de parcours. Lire la suite
Le Monde |  Mis à jour le 25.02.2018 | Par Maryline Baumard
A droite, il lui manque la phalange du deuxième orteil et l’ongle du pouce. A gauche, des cicatrices lézardent sa peau. Les pieds de Samvin, 32 ans, racontent trois années d’odyssée sur deux continents. De l’Erythrée, au nord-est de l’Afrique, à la Tanzanie, plus au sud ; du Brésil au Mexique, le demandeur d’asile a parcouru près de huit mille kilomètres à pied, en bus ou en camion, ne s’envolant « qu’entre la Tanzanie et Brasilia-la-Généreuse, celle qui accorde même des visas aux Africains », sourit-il.
Depuis mille jours déjà, il use ses semelles pour fuir la dictature érythréenne et tenter le rêve américain. Tout commence début 2015. Samvin doit disparaître pour avoir déserté l’armée de son pays. Si l’Europe sonne comme une évidence à ses oreilles de réfugié potentiel, l’enseignant refuse la traversée de la Méditerranée, qu’il compare à une « trop funeste loterie » depuis que son frère « dort à jamais auprès des poissons ».

Des cireurs de chaussures, pour la plupart originaires du Guatemala, sur la place Miguel-Hidalgo, dans le centre de Tapachula. Un lieu où cohabitent migrants, vendeurs de rue et musiciens. Jordi Ruiz Cirera pour M Le magazine du Monde
Samvin décide alors avec huit amis de rejoindre l’Amérique. Ils visent même Washington, où ils ont des connaissances dans la communauté éthiopienne. Espoir insensé auquel ils font semblant de s’accrocher au départ mais qui, au fil des jours et des kilomètres, prend corps.
En posant son sac à Tapachula, une ville du sud du Mexique adossée à la frontière guatémaltèque, l’Erythréen respire. Dans sa géographie intérieure, les Etats-Unis sortent de la case du lointain mirage. « Plus que trois mille cinq cents kilomètres et on y est. On est partis à neuf et on va arriver tous vivants. Dieu soit loué ! », ajoute-t-il de sa voix triste d’Africain déraciné qui a tout vu, le pire et le meilleur ; suçant des tiges de canne à sucre pour survivre sur le chemin, payant les racketteurs avec ses derniers sous, travaillant sur les chantiers de Brasilia ou dans les plantations de café.

Florence (à droite) a quitté le Cameroun après avoir vu son époux se faire tuer. Arrivée par l’Equateur en Amérique latine, elle a voyagé pendant trois mois jusqu’à Tapachula et compte faire une demande d’asile aux Etats-Unis. JORDI RUIZ CIRERA POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
Le voici donc à Tapachula, où une bonne part des 500 000 migrants qui traversent chaque année le Mexique font, comme lui, escale. La Perle de Soconusco, du nom de cette région côtière, attire comme un aimant, parce qu’« elle est sur la route la moins violente de l’Amérique centrale », la « route du Pacifique », rappellent les spécialistes des migrations. Mais aussi parce qu’en une nuit, un mois ou un peu plus parfois, elle sait gommer les violences du chemin et noyer les pires douleurs.
Rêve américain
Il faut dire que Tapachula-la-Magicienne a plus d’un argument. Si le matin elle commence sa journée laborieuse, vendant à chaque coin de rue ses maïs blancs, bleus ou verts et ses mangues prédécoupées en forme de fleur, à la tombée du jour, elle ôte sa blouse de travail et enfile sa tenue de soirée.
Partout, elle allume des néons à faire pâlir les étoiles, ne lésinant sur rien : lumière rouge par-ci, flash rose par-là, comme un écho visuel aux klaxons, au haut-parleur criard du vendeur de journaux ou à l’artiste installé dans le kiosque du parc du Bicentenaire.
La ville pulse jusque tard dans la nuit d’une énergie solaire, une force bien supérieure à la somme de ses 300 000 habitants. Et pour peu qu’il ait besoin d’un remontant pour sa dernière étape, le migrant peut compter sur le pox, une eau-de-vie traditionnelle à base de sucre de canne, qui enivre promptement, créant l’illusion éphémère d’avoir déjà réalisé son rêve américain.
De nouveaux venus d’Afrique et d’Asie
Forte de tous ces atouts, ces dernières années, la traditionnelle escale d’un soir s’est allongée. Tapachula a commencé, à l’aube de 2016, à garder plus longtemps des hôtes de plus en plus cosmopolites.
« Avant les années 1990, les populations immigrées qui arrivaient au Mexique venaient essentiellement des pays en guerre d’Amérique centrale, comme le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua. Ensuite, cela s’est diversifié, avec des Equatoriens, des Cubains, des Brésiliens et surtout de nombreux Honduriens », observe Jean Clot, docteur en études régionales à l’Université autonome du Chiapas. Ce spécialiste des migrations mexicaines précise aussi qu’« il a fallu attendre 2014 pour que les migrants d’Afrique de l’Est et d’Asie du Sud viennent grossir ces flux », découragés par une Europe devenue forteresse.
La légende veut qu’une vague en provenance d’Asie ait préparé le terrain, installant un restaurant dans chaque rue de la ville, au début du siècle dernier, quand la Californie a fermé la porte à l’immigration chinoise. Mais les nouveaux venus du Bangladesh ou d’Inde n’ont pas l’intention de perpétuer cette tradition.
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Pour les hommes comme pour les marchandises, la traversée de la Suchiate, entre le Guatemala et le Mexique, s’opère sur des embarcations bricolées, à une centaine de mètres du poste-frontière. JORDI RUIZ CIRERA POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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