La désobéissance civile est-elle en train de frémir ?

Nexus – janvier/février 2018 – Sabrina Debusquat –
S’abstenir aux élections, plutôt que de « voter pour le moins pire« , opter pour une consommation durable, locale, ou qui n’inclut pas de souffrances animales, faire le choix de médias indépendants, repenser son rapport au travail, au corps, à la médecine, au temps… Ce sont des choix de vie que font de plus en plus de citoyens. En s’éloignant volontairement de l’ultra-consommation ou encore de la chimie de synthèse, ils questionnent ce qui est érigé depuis des décennies en idéal de vie occidental. « Relents du mouvement hippie« , « lubies de bobos privilégiés ! » affirment les uns. « Minorité avant-gardiste« , rétorquent les autres. Alors, vivons-nous une époque particulièrement soumise ou sait-on encore désobéir quand plus rien ne nous convient ? 
Signes de rébellion
Depuis 2015, Cédric Herrou, producteur d’olives, a aidé plus de 205 migrants à passer le frontière franco-italienne. Malgré plusieurs arrestations et poursuites judiciaires, il continue son combat. Dans une tribune publié dans Libération, son comité de soutien écrit : « Il est temps de dire non, de se désolidariser d’un État qui trahit sans vergogne les idéaux dont il parfume ses discours, temps de désobéir à la loi écrite quand elle criminalise la fraternité et proroge l’inhumain […]. Il y eut des heures dans notre histoire où désobéir c’était garder l’honneur et sauver son âme. […] C’est le rôle d’un citoyen, en démocratie, d’agir lorsqu’il y a défaillance de l’État. Nous réaffirmons la primauté absolue de la conscience morale sur l’ordre politique. »
Juillet 2017 : sous l’impulsion de l’association 269Life qui prône la désobéissance civile, 52 activistes antispécistes s’enchaînent sur la chaîne d’abattage de l’abattoir Palmid’Or en Saône-et-Loire pour dénoncer les « actes de cruauté et mauvais traitements infligés aux millions de canards, lapins et chevreaux qui y sont mis à mort chaque année« . Écopant régulièrement de poursuites judiciaires, les dirigeants de l’association affirment qu’ils ne relâcheront pas leur mouvement contestataire tant que « les incohérences de la loi sur le statut des animaux » ne seront pas mises en lumière.
Novembre 2017 encore : Yvan Gradis, cofondateur de RAP (Résistance à l’Agression Publicitaire) est dispensé par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour fournir son ADN a la justice. Entré en désobéissance civile pour barbouillages de panneaux publicitaires depuis 2001, il refusait de se rendre aux convocations des autorités qui souhaitaient l’inscrire au fichier automatisé des empreintes génétiques aux côtés des criminels sexuels et terroristes. Sa persévérance a fini par payer, son action non violente étant jugée suffisamment « particulière » pour lui éviter un tel fichage.
Vent de révolution ? 
« Désobéissance » : un mot fort derrière lequel affleure un mécontentement croissant face aux décisions prises par nos gouvernements. De la bouche d’anonymes à celles de grands intellectuels, l’expression est de plus en plus régulièrement prononcée et surtout mise en application. L’idée n’est pas nouvelle, mais les crise écologiques, économiques et sociales rendent les enjeux bien plus pressants, palpables. Justice, médias, écologie, politique, vie ne entreprise, médecine… la société entière semble à bout de souffle, sommée d’assurer toujours plus et toujours plus vite avec toujours moins. 
Médias : le désamour
Jamais la désaffection des Français vis-à-vis des médias n’a été aussi forte. Montée des médias alternatifs et indépendants mais aussi conspirationnisme… Une part croissante de citoyens cherche visiblement à se réapproprier l’information. Un sursaut que l’on pourrait trouver sain et salutaire, mais qui est paradoxalement souvent combattu comme un fléau à endiguer. Pourtant, si cette réappropriation de la pensée, certes parfois  maladroite, fait si peur, n’est-ce pas précisément parce qu’elle menace l’ordre établi et tout ceux qui en profitent ? Le philosophe et économiste français Frédéric Lordon développe à ce propos une théorie fort intéressante : « Le conspirationnisme n’est pas la psychopathologie de quelques égarés, il est le symptôme nécessaire de la dépossession politique et de la confiscation du débat public. Aussi est-il de la dernière ineptie de reprocher au peuple ses errements de pensée quand on a si méthodiquement organisé sa privation de tout instrument de pensée et sa relégation hors de toute activité de pensée. »
Le conspirationnisme et le désamour pour les médias traditionnels seraient donc simplement la fin d’une certaine naïveté du peuple vis-a-vis d’un formidable outil de propagande que les médias constituent pour la calasse dominante qui les détient et y exerce ? Une thèse que partage également le journaliste espagnol Ignacio Ramonet, fondateur d’Attac et inventeur du terme de « pensée unique ».
(1) (Conspirationnisme : la paille et la poutre – le Monde Diplomatique)
(2) La pensée unique par Ignacio Ramonet
Le débat politique est gelé par une tromperie concernant la science qui définit le savoir individuel inférieur au savoir scientifique. Ainsi, les individus cessent de se fier à leurs jugement et demandent qu’on leur dise la vérité […] Or une telle délégation […] substitue ‘obéissance à un mythe et finalement légitime les expériences conduites sur les hommes ». Ivan Illich dans La Convivialité, Points, 1973.

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