Europe – En Hongrie, l’entourage d’Orban s’enrichit sur fonds européens

Des proches du premier ministre hongrois s’enrichissent sur le dos de l’Union européenne qu’il ne cesse de dénoncer.
LE MONDE | 20.03.2018 | Par Jean-Baptiste Chastand
Les affaires éclairées des proches d’Orban
Les lampadaires de Szekszard sont devenus une affaire d’Etat. Pas seulement « parce qu’ils diffusent mal la lumière et qu’on n’y voit pas bien », comme le note le député d’opposition Akos Hadhazy, dans les rues sombres de cette petite ville du centre de la Hongrie. Mais parce que, depuis quelques mois, ils jettent une lumière crue sur les affaires sulfureuses de l’entourage de Viktor Orban, le premier ministre hongrois ultraconservateur actuellement en pleine campagne pour obtenir sa réélection le 8 avril.
Si l’homme fort de Budapest dénonce sur tous les tons « Bruxelles » et sa politique d’immigration, il est nettement plus discret sur les scandales qui se multiplient autour de l’usage douteux des fonds régionaux européens par ses proches.

12. March 2018. Photo: Akos Stiller

Des lampadaire d’Elios Innovativ, à Szekszard. Sur les affiches, Istvan Horvath, membre du Fidesz, le parti de Viktor Orban. AKos Stiller Pour Le Monde
Parmi ces affaires, celle des lampadaires de Szekszard, et de 34 autres communes, semble la plus gênante. Tout a commencé en 2012, quand Akos Hadhazy, vétérinaire dans le civil, occupait encore la fonction de simple conseiller municipal, alors membre du Fidesz, le parti de M. Orban. En plein milieu de l’été, il est subitement convoqué pour un conseil extraordinaire destiné à renouveler les lampadaires de toute la commune. « Le maire nous a annoncé qu’il fallait tout décider dans les deux jours, sans en avoir jamais parlé auparavant, alors qu’il y en avait tout de même pour 3 millions d’euros. J’ai trouvé ça bizarre », assure l’élu qui avait pris l’habitude d’enregistrer toutes les réunions du groupe Fidesz. Pour calmer les réticences, l’édile passe alors un coup de fil en pleine réunion à la directrice de ce qui est encore une discrète société d’éclairage, Elios Innovativ. « Après cette discussion, il nous a dit que ça ne coûterait rien à la ville, grâce aux fonds européens. »
Dans la foulée, les élus votent en faveur du lancement d’un appel d’offres, qui sera remporté quelques mois plus tard par… Elios. Mais le vétérinaire de Szekszard n’est pas au bout de ses surprises. Il découvre que le gendre de Viktor Orban, Istvan Tiborcz, qui a épousé en 2013 sa fille aînée, Rahel, siège au comité de direction de la société. M. Tiborcz est entré chez Elios à sa création, en 2009, à 23 ans. Surgie de nulle part, cette entreprise a connu en quelques années une croissance fulgurante en installant, sur fonds européens, des lampadaires LED dans une trentaine de municipalités du pays, presque toutes contrôlées par le Fidesz.
« Plainte classée sans suite »
A Budapest, une journaliste du site d’investigation Direkt36, Anita Varok, s’interroge en 2015 sur ce mystérieux succès. Elle épluche tous les appels d’offres remportés par Elios, et fait une intriguante découverte. « Pour beaucoup d’entre eux, il n’y avait qu’un candidat : Elios. Ces appels d’offres demandaient tous une expérience précédente dont seule cette société disposait. Sauf dans le premier appel d’offres de lampadaires LED de l’histoire du pays, justement remporté en 2010 par Elios, à Hodmezovasarhely. »
Cette commune est le fief de Janos Lazar. Très proche de Viktor Orban, il est actuellement son chef de cabinet. La journaliste découvre même qu’un des associés d’Istvan Tiborcz dirige en parallèle une société de conseil qui aide les municipalités à rédiger les appels d’offres… Tout cela sous la supervision des bureaux du premier ministre chargés de vérifier leur validité.
ort des révélations de Direkt36 et de son enregistrement, Akos Hadhazy dépose en 2015 une plainte auprès de la police, après avoir quitté le Fidesz. « Je pensais que ce serait une preuve indéniable. Je me suis trompé. Au bout d’un an, la plainte a été classée sans suite. » Dans sa réponse consultée par Le Monde, la police hongroise affirme que tous les appels d’offres « ont été conformes à la réglementation » et que l’enregistrement ne contient rien « qui ferait penser qu’il y avait un accord préalable avec Elios pour limiter la concurrence ».
L’affaire aurait pu en rester là, bien enfouie dans les classeurs des enquêteurs hongrois. C’était sans compter sur l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) qui s’est entre-temps saisi du dossier depuis Bruxelles, en raison de l’utilisation de fonds européens dans ces marchés. Le résultat de ses investigations, révélé en janvier par le Wall Street Journal, a fait l’effet d’une bombe en pleine campagne pour les législatives.
« Sérieuses irrégularités » et « conflits d’intérêts »

Dans leur rapport de 140 pages, consulté par Le Monde, les enquêteurs européens confirment point par point les investigations de Direkt36 et mettent nommément en cause Istvan Tiborcz. L’OLAF dénonce non seulement de « sérieuses irrégularités » et des « conflits d’intérêts », mais parle aussi d’un « schéma de fraude organisée ». L’office recommande le remboursement de 43,7 millions d’euros par la Hongrie et demande au parquet de rouvrir son enquête. Dirigé par un proche de Viktor Orban, celui-ci obtempère le 22 janvier, tout en précisant bien que ce n’est pas « l’OLAF qui détermine si un crime a été commis ou non ».
L’affaire Elios n’en est pas moins gênante pour le pouvoir. Une vidéo moquant l’enrichissement d’Istvan Tiborcz a été vue 800 000 fois sur Facebook. Et le 25 février, lors d’une élection municipale partielle justement organisée à Hodmezovasarhely, le candidat du Fidesz a été battu à la surprise générale par un indépendant soutenu par l’ensemble de l’opposition qui a fait campagne contre la mainmise de Janos Lazar sur la commune, dont Elios ne serait qu’un des symptômes. M. Lazar n’a pas souhaité répondre à nos questions, et Istvan Tiborcz, qui a revendu ses parts dans Elios en 2015 pour un montant estimé par plusieurs journalistes d’investigation hongrois à près de 10 millions d’euros, fuit toute demande d’interview.
Mais à Szekszard, Istvan Horvath, l’ancien maire enregistré à son insu par Akos Adhazy, devenu désormais député, assure au Monde que le « rapport OLAF est une attaque personnelle contre Orban », dont le nom n’est pourtant pas mentionné dans le document. Si son gendre a emporté le marché des lampadaires, c’est uniquement parce que « son offre était la meilleure sur le plan économique », affirme l’élu. Dans le premier cercle de Viktor Orban, on se fait encore plus clair : « Ce rapport fait partie d’une campagne politique de l’opposition, il a été écrit par trois Hongrois », affirme Zoltan Kovacs, porte-parole du chef du gouvernement. Et de s’en prendre à « Jean-Claude Juncker [le président de la Commission européenne], qui a fait de la commission un organisme politique ».
Bruxelles ne cache pas son agacement
Premiers bénéficiaires de fonds européens par habitant de toute l’UE, les Hongrois multiplient de facto les rapports OLAF. Une soixantaine en tout, alors que son gendre n’est pas le seul proche de Viktor Orban à s’être enrichi grâce aux fonds européens. Le maire de son village natal et ancien camarade de classe, Lörinc Meszaros, est devenu le cinquième homme le plus riche de Hongrie en 2017, à la tête d’un empire qui va de la construction à la banque en passant par l’hôtellerie et surtout les médias. Selon le site d’investigation Atlátszó, 83 % des appels d’offres remportés par ses entreprises depuis 2010 ont été financés par des fonds européens. Sollicité, OLAF n’a pas souhaité dire s’il enquêtait sur les activités de M. Meszaros, qui n’a pas répondu à nos questions.
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Direkt36 assure aussi que les entreprises du père et des frères de Viktor Orban apparaissent régulièrement comme sous-traitants dans des chantiers financés par l’UE. Pour Andras Petho, le directeur de Direkt36, « Orban a bâti un système basé sur les marchés publics financés par l’UE grâce auquel ses proches et ses amis sont devenus riches. C’est assez ironique de la part de quelqu’un qui attaque autant l’UE dans ses discours. »
A Bruxelles, on ne cache pas son agacement. « Dans 36 % des appels d’offres hongrois, il n’y a eu qu’un seul candidat. C’est inacceptable, la moyenne européenne est de 17 % », tonne Ingeborg Grässle, la présidente de la Commission du contrôle budgétaire au Parlement européen. Cette eurodéputée allemande affiliée au Parti populaire européen (PPE, conservateur), comme Viktor Orban, a conduit en septembre une mission d’enquête en Hongrie et ne cache pas ses doutes sur la justice de ce pays. « Ce serait bien qu’elle s’y mette vraiment et qu’une vraie enquête soit ouverte. »
Pour l’instant, la Commission européenne se révèle pourtant assez impuissante, à la fois en raison d’une certaine réticence à mettre en cause un membre du PPE, majoritaire au niveau européen, et faute de véritables pouvoirs d’enquête. « Les rapports OLAF sont presque systématiquement contestés par Budapest, déplore un fonctionnaire européen proche du dossier. Or, dans les cas de fraude, nous préférons attendre des décisions de justice définitives avant de récupérer les fonds dépensés. »
La Hongrie a refusé de faire partie du projet de création d’un parquet européen destiné à superviser les enquêtes sur les fraudes aux fonds européens. « Si le procureur hongrois ne décide pas d’ouvrir une enquête dans le dossier Elios, ce sera toutefois difficile de ne rien faire », reconnaît ce fonctionnaire. En attendant, Viktor Orban affirme, lui, vivre toujours aussi modestement. Sa dernière déclaration de patrimoine mentionne deux appartements et un solde sur le compte commun qu’il détient avec sa femme de seulement 742 000 forints. Soit 2 384 euros.

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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