Dans un entretien au « Monde », le cofondateur et ancien président de Médecins sans frontières estime qu’une éventuelle condamnation de Nicolas Sarkozy éclairerait d’un jour nouveau l’intervention militaire française en Libye.
Le Monde | 26.03.2018 à 10h35 | Propos recueillis par Nicolas Truong
Directeur de recherche à la Fondation Médecins sans frontières et professeur à l’IEP de Paris, auteur de Diplomatie de l’ingérence (Elytis, 2016) et de Guerres humanitaires ? Mensonges et intox (Textuel, 128 pages, 15,90 €), Rony Brauman revient sur l’intervention militaire française en Libye, à laquelle il était opposé.
Comment considérez-vous la mise en examen de Nicolas Sarkozy ?
Rony Brauman Une mise en examen n’est pas une déclaration de culpabilité, donc je me garderai bien de conclure avant que le jugement soit prononcé. Il n’en demeure pas moins que c’est une occasion de revisiter les circonstances dans lesquelles cette guerre a été conduite, car il est manifeste que les présidences libyenne et française ont noué des liens étroits, qui se sont rompus à partir de février 2011. La vérité juridique, qui s’appuie sur des éléments probants, est une chose. La vérité historique et politique, elle, même si elle recoupe la vérité juridique, ne s’y réduit pas. On se souvient que, en janvier 2011, c’est-à-dire quelques semaines avant que Kadhafi ne devienne ce nouvel ennemi de l’humanité qu’il fallait combattre, une entreprise française livrait à son régime un système d’espionnage des communications, prétendument pour traquer les pédophiles – qui, d’un seul coup, semblaient devenir le problème majeur de la Libye –, mais en réalité pour surveiller les opposants et les dissidents au régime. Autrement dit, la France continuait à soutenir Kadhafi, car un tel logiciel ne pouvait être fourni sans l’aval des autorités françaises. On est donc frappé par cette bascule soudaine du président français qui, du jour au lendemain, fait passer Kadhafi d’ami à ennemi, à la suite d’allégations mensongères de massacres.
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En dépit des relations changeantes entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi, l’intervention de l’OTAN n’était-elle pas justifiée afin de protéger la population libyenne ?
Les menaces du régime de Kadhafi sur la ville de Benghazi ont été considérablement et opportunément surévaluées. Elles auraient pu être jugulées par la présence militaire navale déjà sur place, annonçant que le bombardement de Benghazi ne resterait pas sans réplique, ce qui aurait été dissuasif. Or non seulement la France a envoyé ses Rafale sur Benghazi, mais elle a largement débordé la résolution 1973 de l’ONU, arrachée dans l’urgence par Alain Juppé. Or l’urgence disqualifie tout esprit critique. C’est ce qui était sans doute voulu et c’est ce qui arriva. Du bouclier offert à la population de Benghazi, on est passé à l’attaque au sol, jusqu’à aller traquer Kadhafi à Syrte, et à l’abattre au moment où il fuyait dans un convoi non armé. Il a été délibérément éliminé et cette histoire pourrait être éclairée d’un jour nouveau lors de ce procès.

to Moamer Kadhafi / AFP PHOTO / AHMAD AL-RUBAYE